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  • Egocentrique, moi?

    Photo: Alain, 1959, Rome

    L’égocentrisme est, selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales, une "déformation du moi, involontaire et inconsciente, consistant à n’envisager le point de vue ou l’intérêt des autres qu’à partir du sien propre".

    Si l’on s’en tient à la stricte définition, difficile d’associer systématiquement l’usage de la 3e personne à une déformation telle que l’égocentrisme. Est-il cependant possible de l'assimiler à un "tic de langage"? Or, comme le documente Laélia Véron, il y a dans le tic de langage une dimension pathologique.

    "On va encore dire de moi que je parle à la 3e personne… C’est vrai"., dit Delon en interview.

    Mais chez l'acteur, l’usage de la 3e personne n’est pas systématique. Il est choisi et il témoigne d’une conscience linguistique plus profonde qu’il n’y paraît.

    TROIS MANIÈRES DE COMPRENDRE L’USAGE DE LA 3ᵉ PERSONNE

    C’est dans le contexte du film Borsalino and Co. que l’on en trouve la première mention: "Il y avait cinq ans que je voulais mettre Delon dans un film avec Belmondo", concède-t-il en parlant, de lui pour la première fois en public à la troisième personne. Et "Delon-producteur" de poursuivre:

    "Je me disais: cela doit pouvoir se faire le public a envie de les voir ensemble, comme aux États-Unis on voit ensemble deux “monstres” style Gary Cooper–Burt Lancaster, Mitchum–Douglas ou, plus récemment, Paul Newman et Robert Redford [Butch Cassidy]. Mais personne ne trouvait de sujet".

     

    Alain Delon parle de lui, et au lieu de dire Je/Moi, utilise "Alain Delon". Il a lui-même eu l’occasion de s’expliquer sur cet usage, et il disait notamment:

    "Je ne suis pas quelqu’un qui a le culte du Moi. Je crois que dans la profession, il y a des confrères beaucoup plus en avance que moi sur le sujet".

    Comment expliquer alors ces apparents paradoxes? La linguistique peut, de trois manières au moins, aider à comprendre cet usage de la 3e personne, et mieux cerner les enjeux: la valeur plus que le sens des mots, la subjectivité dans le langage, et l’énonciation.

    LA VALEUR DES MOTS: UNE VISION VOLONTARISTE

    La citation suivante est intéressante au regard de la subtilité entrevue dans l’épaisseur sémantique de certains mots employés par Alain Delon:

    "Ma carrière n’a rien à voir avec le métier de comédien. Comédien, c’est une vocation. On veut être comédien comme on veut être chauffeur de taxi ou boulanger. On suit des cours, on fait des écoles, puis des conservatoires. C’est la différence essentielle – et il n’y a rien de péjoratif ici – entre Belmondo et Delon.

    Je suis un acteur, Jean-Paul est un comédien. Un comédien joue, il passe des années à apprendre, alors que l’acteur vit. Moi, j’ai toujours vécu mes rôles. Je n’ai jamais joué. Un acteur est un accident. Je suis un accident. Ma vie est un accident. Ma carrière est un accident".

    En effet, il arrive que comédien et acteur soient utilisés l’un pour l’autre, mais Alain Delon identifie une différence, en termes de motivation/vocation, apprentissage/incarnation, entre les deux termes.

    On attribue également à Alain Delon la citation "La chance n’existe pas, ça s’appelle le destin", qui montre là aussi la distinction entre deux termes proches. Dans les deux cas (comédien/acteur, chance/destin), on peut presque trouver une forme de volontarisme dans le regard linguistique posé, puisque le hasard ou les circonstances sont mis à distance dans la valeur accordée aux mots.

    "JE NE JOUE PAS, JE VIS": UNE SUBJECTIVITE RELATIVE

    Les médias citent abondamment, depuis le décès de l’acteur, la phrase "Je ne suis pas un comédien: je ne joue pas, je vis". Cette citation peut donner l’impression d’une personne prétentieuse. En fait, dans l’entretien au Journal du Dimanche, qu’il a donné le 18 mai 2019, Alain Delon indiquait plus exactement:

    "Je ne suis pas un comédien: je ne joue pas, je vis. Aujourd’hui, je suis différent d’hier physiquement. Mais je ne veux pas refaire du cinéma pour faire du cinéma. Je ne veux pas faire le combat de trop, comme disent les boxeurs, que je connais bien. J’ai vu ça chez Sugar Ray Robinson. Joe Louis aussi. Pour l’orgueil ou le pognon. Je n’ai pas envie de ça".

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  • Serpents, araignées… D’où viennent nos peurs de certains animaux?

    Une étude d’ampleur inédite montre que la peur que nous ressentons envers certains animaux n’a pas grand-chose à voir avec le danger qu’ils représentent. Mais ces émotions peuvent en revanche avoir des effets très néfastes sur la protection de la biodiversité.

    En 1872, Charles Darwin décrivait la peur comme une puissante alliée pour éviter ou pour fuir les dangers. Au cours des plus de 50 millions d’années d’évolution des primates et pendant la presque totalité de l’histoire humaine, grands carnivores, crocodiles ou serpents venimeux étaient de terribles menaces. En avoir peur était donc nécessaire à la survie.

    Mais aujourd’hui, notre peur des animaux ne s’arrête pas aux espèces dangereuses. Certains animaux inoffensifs nous terrifient également. Pourquoi ce décalage entre danger réel et terreur? Des facteurs socioculturels et le succès de théories contestables pourraient l’expliquer.

    Pour mieux comprendre la peur des animaux nous avons sondé plus de 17 000  participants à travers le monde, en leur proposant un questionnaire sous forme de jeu en ligne fondé sur des portraits photographiques d’animaux. Le panel comprenait 184 espèces: des mammifères, des reptiles, des oiseaux, des arthropodes (insectes et araignées) et des amphibiens. En pratique, au cours d’une aventure imaginaire, des paires de photos (un lion et une mésange, par exemple) étaient tirées au sort et présentées à l’écran, 25 fois de suite.

    Chaque participant devait choisir l’animal qui lui faisait le plus peur, cliquer sur sa photo, passer à la paire suivante puis, à la fin du jeu, répondre à quelques questions.

    Nous avons ainsi obtenu les résultats sur plus de 400 000 duels de photos, une mine d’or statistique. L’analyse des choix et des temps de réponse ont permis de classer les 184 animaux selon le niveau de crainte qu’ils inspirent. La diversité des participants (âge, genre, pays d’origine, études, etc.) a révélé des relations complexes entre danger réel (ou écologique) et influences socioculturelles.

    BIOPHOBIE ET PEUR IRRATIONNELLE DES ANIMAUX

    Une constante est cependant apparue: dans toutes les zones géographiques et classes d’âges, des animaux inoffensifs pour l’humain, comme les chauves-souris, les araignées ou les serpents non venimeux, ont suscité des réactions de peur très marquées, autant voire plus qu’avec des espèces potentiellement très dangereuses comme l’hippopotame ou l’ours brun. La logique de terrain, celle énoncée par Darwin, était donc bien prise en défaut.

    Pour expliquer cette discordance, certaines théories très en vogue depuis plus de quinze ans proposent que la peur des serpents et des araignées soit figée, innée et codée dans nos gènes.

    Mais comment la sélection naturelle aurait-elle produit un résultat aussi illogique? Comment savoir également si les premiers humains avaient peur des araignées et des serpents, surtout que de nombreux primates ne les fuient pas et, au contraire, les mangent? Les serpents sont également toujours considérés comme des délices culinaires et sont largement consommés dans différentes régions du monde. Les théories patinent un peu sur ces points cruciaux.

    D’autres explications semblent nécessaires. Un autre cadre théorique pointe les facteurs socioculturels dans la transmission d’émotions, notamment les peurs, y compris celle des animaux. Combinée à l’absence de contact avec la nature, la transmission familiale et sociale de la peur du vivant conduirait jusqu’à la biophobie, c’est-à-dire la peur ou même la haine du vivant.

    Des facteurs culturels pourraient effectivement expliquer pourquoi de nombreuses personnes croient à tort que les araignées sont dangereuses et tuent fréquemment des humains alors que seulement 0,5% des araignées sont potentiellement dangereuses pour l’humain, les accidents graves sont rarissimes et les décès vraiment exceptionnels. Dans notre étude, certains participants ont même déclaré avoir peur d’être mangés par une araignée, une idée totalement irrationnelle.

    Des préjugés, un sentiment général de dégoût, mais surtout le manque de connaissances naturalistes laissent ainsi la place aux légendes et aux peurs exagérées qui les accompagnent. La distorsion est amplifiée par les médias et les films, où les araignées et serpents géants sont trop souvent monstrueux et féroces.

    Un mécanisme central est que les peurs exacerbées peuvent être transmises en un clin d’œil et voyager de génération en génération. Cet effet est marqué chez les plus jeunes, un parent effrayé par une petite araignée de maison peut inoculer sa terreur à ses enfants en quelques secondes. Ainsi renforcées, les représentations déformées des animaux dans les films peuvent devenir des croyances ancrées, puis des " vérités ". Ce décalage entre le danger perçu et la réalité quotidienne s’accroît dans les sociétés urbanisées, où la déconnexion avec la nature augmente constamment.

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    LES ANIMAUX DANGEREUX FONT TOUT DE MEME PEUR

    Bien sûr, les animaux potentiellement dangereux, comme le lion, suscitent aussi des réactions fortes et rationnelles de peur. De nombreux cas de prédation, d’attaques ou de morsures mortelles sont documentés à travers le monde. Dans notre étude, les crocodiles, les grands félins et les serpents venimeux sont effectivement perçus comme très effrayants. Les participants ont clairement exprimé leur peur d’être tués par une énorme vipère du Gabon ou d’être mangés par un tigre.

    Inversement, la grande majorité des animaux inoffensifs, comme le lapin, la tortue ou le koala, n’ont suscité aucune peur. Ces résultats confirment donc une définition générale de la peur comme un état émotionnel adaptatif, qui incite les animaux à réagir de façon appropriée face à des stimulus potentiellement dangereux.

    Mais il reste difficile de distinguer ce qui relève de mécanismes innés plutôt que des biais culturels dans la peur des animaux. La grande taille (un bison adulte est impressionnant), les dents de carnassier, le regard fixe du prédateur ou les signaux d’avertissement (bandes colorées sur les serpents venimeux ou les guêpes) sont probablement des messages clairs compris de tous, indépendamment de la culture, mais cela reste à démontrer. Les visions purement innées ou purement culturelles, extrêmement rigides, correspondent particulièrement mal à une réalité qui semble davantage complexe et intriquée.

    LA PEUR EXAGÉRÉE DES ANIMAUX, UN FREIN A LA CONSERVATION

    Une chose reste certaine: les peurs exacerbées, irrationnelles et invalidantes, c’est-à-dire des phobies, ont des conséquences. Elles gâchent la vie, y compris celle des animaux qui en font les frais. Le déclin des serpents en témoigne. Il progresse à une vitesse alarmante, aussi bien en Europe que sur le plan mondial. Il est donc urgent de les protéger. En outre, ces animaux jouent des rôles écologiques clés et sont des auxiliaires de l’agriculture. Pourtant ils sont souvent persécutés et tués.

    Or, la peur qu’il inspirent est le principal déclencheur de cette attitude agressive et violente. Le pire est que, lorsqu’il s’agit de serpents venimeux, le risque d’être mordu par riposte augmente considérablement. Au cours d’une rencontre, il est prudent de laisser les serpents tranquilles ou de s’enfuir plutôt que de leur taper dessus. La peur exagérée et les gestes dangereux et mal contrôlés entraînent des drames pour les humains et les autres animaux.

    L’aversion forte pour certains animaux couplée à la perte de contact avec la nature est aussi associée à la dégradation de la santé mentale. L’expérience directe avec la nature semble nécessaire aux équilibres psychologique et physiologique.

    Or, la manière dont nous percevons la nature influence directement notre investissement dans sa préservation. Les espèces perçues comme effrayantes, souvent à tort, sont malheureusement fortement négligées par les programmes de conservation. La biophobie rend difficile l’éducation à l’environnement et la protection de la biodiversité. La répugnance pour de nombreux arthropodes et reptiles s’accompagne d’un faible effort de conservation par rapport aux espèces charismatiques (par exemple, les dauphins ou les ours). Il est pourtant nécessaire de protéger des ensembles.

    La note positive est qu’il a été montré expérimentalement qu’une simple sortie nature, un bref contact avec les serpents, suffit à changer la donne, tout au moins chez des enfants. Ce résultat souligne le rôle majeur de la culture et de l’éducation, par rapport aux hypothèses fondées sur la peur innée des serpents.

    Il est donc essentiel d’étudier le développement et la persistance des perceptions positives et négatives vis-à-vis des animaux pour améliorer le confort de vie, la santé, mais aussi pour réduire les conflits entre l’humain et la nature. Élargir des actions de sensibilisation à toutes les espèces est fondamental pour guider les efforts de protection. Détruire pour délit de faciès n’est pas acceptable. En outre, la destruction de populations ou d’espèces peut perturber des écosystèmes et avoir un bilan mitigé voire négatif.

    La peur est notre alliée, mais, mal domptée, elle peut se retourner contre nous et contre notre environnement. Il serait sage d’en tenir compte dans les programmes d’éducation.

    Auteurs: Xavier Bonnet - Directeur de Recherche CNRS en biologie et écologie des reptiles, Centre d'Etudes Biologiques de Chizé

    Karl Zeller - Docteur en Écologie Évolutive, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

    The Conversation France - CC BY ND

     

  • La musique et bébé

    Comment éveiller votre nouveau-né à la musique? Initiez-le à une deuxième langue!

    Les bébés qui évoluent dans un environnement bilingue montreraient plus de sensibilité pour la musique, stipule la récente étude publiée par Cambridge University Press. Quels sont les liens entre la musique et le bilinguisme?

    Vous venez d'avoir un bébé et son avenir vous préoccupe déjà. Sera-t-il doué pour la musique ou pour la peinture? Sera-t-il astronaute ou chef d'orchestre? Vous avez raison, il faut mettre toutes les chances de son coté, et il n'est jamais trop tôt pour s'organiser.

    Il est vrai que pour le calcul ou la philosophie, il faudra attendre quelques années, mais il y a des domaines que vous pouvez aborder dès les premiers mois. Prenons la musique: il semblerait que les enfants exposés à la musique dès leur plus jeune âge développent de meilleures capacités cognitives.

    Là-dessus, vous pensez être prête avec plusieurs versions de Pierre et le loup sur l'étagère et le Carnaval des animaux sur votre téléphone. Pour pouvoir embarquer votre enfant pour un concert jeune public dans une vraie salle de concert, il faudra patienter…

    Voici ce que vous pouvez faire dès à présent. Pensez à faire appel à une nounou de langue maternelle autre que le français. Vous ne voyez pas le lien? Et bien, sachez qu'il faut faire d'une pierre deux coups: en plus d'être une gymnastique bénéfique pour le cerveau, le bilinguisme serait crucial dans le développement de la sensibilité musicale chez les bébés.

    C'est ce qu'affirment les chercheurs Liquan Liu de l'Université de Sidney Ouest et René Kager de l'Université d'Utrecht. Spécialistes du bilinguisme, ils ont prouvé par leurs travaux antérieurs que les bébés bilingues développent une meilleure sensibilité à discerner les variations subtiles dans les hauteurs tonales d'une langue.

    Dans leur nouvelle étude ils sont allés un pas plus loin en s'intéressant à la sensibilité musicale des bébés qui évoluent dans un environnement bilingue. Selon les chercheurs, les bébés bilingues seraient plus à même de détecter les nuances subtiles, linguistiques ou musicales, dans leur entourage. Une capacité liée à leur sensibilité acoustique plus développée.

    "Lorsqu'un enfant apprend deux langues en même temps, cet apprentissage forme un système plus complexe et plus détaillé des sons qui se chevauchent pour permettre une meilleure compréhension acoustique en général" explique Liquan Liu".

    Ces bébés pourraient tirer profit de cette différenciation des nuances subtiles entre deux langues en la transposant sur la perception des sons non-parlés, comme la musique. Ils seraient aussi plus attentifs aux détails acoustiques que les bébés monolingues, grâce au va-et-vient permanent entre deux langues qui est un exercice supplémentaire pour l'oreille et le cerveau".

    Ceci dit, il faut s'y prendre tôt, avant la première année révolue de l'enfant. Les chercheurs ont ainsi travaillé avec deux groupes de bébés âgés de 8 à 9 mois. Tous avaient en commun le néerlandais comme langue maternelle, et pour le groupe des bébés bilingues, la deuxième langue appartenait à la catégorie des langues non-tonales (celles pour lesquelles la mélodie ou la hauteur ne détermine pas le sens du mot).

    Les deux groupes ont écouté les sons provenant d'une langue étrangère et les sons du violon puis les chercheurs ont tenté de voir s'ils réagissaient aux contrastes.

    Contrairement aux bébés monolingues, les bébés bilingues ont réagi très clairement aux sons contrastés joués au violon: "Les résultats ont montré que les bébés qui évoluent dans un environnement bilingue sont plus réceptifs à la différence entre deux notes de violon que le groupe monolingue.

    Comme ils sont exposés à un environnement plus complexe dans le processus d'apprentissage des deux langues, les bébés bilingues pourraient avoir plus de sensibilité aux nuances acoustiques des stimuli, une sensibilité qui n'est pas limitée au langage, mais est valable aussi pour les stimuli musicaux".

    Donc, si vous voulez éviter que votre enfant soit bêtement astronaute, initiez votre bébé à une deuxième langue. Votre anglais est trop basique et votre accent français vous trahit? Engagez dès à présent une baby-sitter en version originale!