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La lumière émise par le cerveau mesurée pour la première fois
Tous les tissus vivants émettent un faible flux de lumière. Des chercheurs ont mesuré pour la première fois ces "bio-photons" produits par le cerveau humain. Jouent-ils un rôle dans la cognition?
La vie, pour l’essentiel, est baignée de lumière: le Soleil procure à la planète l’énergie indispensable à la grande majorité des écosystèmes qu’elle abrite. Mais la vie crée également sa propre lumière, et pas seulement la bioluminescence des vers luisants et des poissons lanternes, ou les rayonnements infra-rouges engendrés par la chaleur. Les tissus vivants émettent un flux continu de lumière de faible intensité, ou bio-photons. Les scientifiques dénomment ce phénomène" émissions de photons ultra-faibles" (UPE, pour ultra-weak photon emissions, en anglais).
Ils supposent qu’elles ont pour origine des réactions biomoléculaires produisant de l’énergie, dont les photons sont des sous-produits. Dès lors, plus un tissu utilise d’énergie, plus il devrait diffuser de la lumière; ce qui signifie que, dans notre corps, le cerveau devrait être particulièrement émetteur.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue iScience, des chercheurs ont détecté pour la première fois, depuis l’extérieur du crâne, des émissions par le cerveau humain de bio-photons et observé que celles-ci changeaient lorsque les participants (sans pouvoir établir de relation claire entre émissions et nature des tâches cognitives). Quel rôle ces photons sont-ils susceptibles de jouer dans l’activité cérébrale?
DE TRES FAIBLES RAYONNEMENTS
Fondamentalement, toute matière émet des photons. En effet, tout corps dont la température est supérieure au zéro absolu produit un rayonnement, dans les longueurs d’onde infra-rouges. Les UPE sont cependant plusieurs ordres de grandeur moins intenses que ce rayonnement thermique, et leurs longueurs d’onde se situent dans la gamme de la lumière visible ou quasi visible du spectre électromagnétique.
Certaines molécules biologiques, lors de processus métaboliques, sont susceptibles de se trouver dans un état excité; elles libèrent alors des photons lorsqu’elles retrouvent leur état fondamental.
Les chercheurs qui étudient les tissus biologiques, y compris les neurones, parviennent à détecter ce très faible flux de lumière continu, allant de quelques photons à plusieurs centaines par centimètre carré chaque seconde, à l’échelle de cultures de cellules, dans des boîtes de Pétri. "La question était de savoir si ces photons, à l’échelle d’un organe qu’est le cerveau humain, pouvaient être impliqués dans le traitement ou la propagation de l’information", explique l’autrice principale de l’étude, Nirosha Murugan, biophysicienne à l’université Wilfrid-Laurier, au Canada.
Cela fait au moins un siècle que les scientifiques font l’hypothèse que les bio-photons jouent un rôle dans la communication cellulaire. En 1923, le biologiste russe Alexander Gurwitsch a mené des expériences dont le principe consistait à empêcher les photons émis par des racines d’oignons d’atteindre d’autres racines adjacentes, et conclu que ces "barrières" empêchaient la plante de pousser. Au cours des dernières décennies, une poignée d’études ont contribué à suggérer que les bio-photons jouent un rôle dans la communication cellulaire, et influencent la croissance et le développement d’un organisme.
DES PHOTONS CAPTES SUR LE CRANE
Se fondant sur ces travaux, Nirosha Murugan et son équipe ont cherché à mettre en évidence un phénomène comparable dans le cerveau humain. Il fallait d’abord, pour cela, vérifier qu’il était possible de mesurer les UPE à la surface du crâne.
À cette fin, ils ont muni vingt participants, dans une salle plongée dans le noir, de casques d’électro-encéphalographie (EEG). Des tubes amplificateurs de photons destinés à détecter les UPE étaient également placés autour de leur tête.
Ces détecteurs étaient regroupés à l’aplomb de deux régions cérébrales: les lobes occipitaux, situés en arrière du cerveau, responsables du traitement visuel, et les lobes temporaux, de chaque côté du cerveau, responsables du traitement auditif. Pour distinguer les UPE du bruit de fond, l’équipe a également installé des détecteurs d’UPE distincts, orientés à l’opposé des participants.
"Notre premier constat, c’est que les photons sortent de la tête, ça ne fait pas de doute", affirme Nirosha Murugan. La chercheuse a ensuite voulu vérifier si l’intensité de ces émissions changeait en fonction du type de tâche cognitive effectuée par les participants.
Le cerveau étant un organe très coûteux sur le plan métabolique, son hypothèse était que l’intensité des UPE devait augmenter lorsque les personnes exécutaient des tâches nécessitant plus d’énergie, comme le traitement visuel. C’est ce qui est en général observé dans les cultures cellulaires: un surcroît d’activité des neurones se traduit en émissions plus intenses.
UN ROLE DANS LES PROCESSUS COGNITIFS?
Si les dispositifs de mesure parvenaient à distinguer les photons provenant de la tête des participants du bruit de fond de ceux de la pièce, ils ont cependant échoué à établir une différence entre différentes régions cérébrales". Peut-être est-ce parce que les biophotons se diffusent dans le cerveau ", estime la chercheuse. Son équipe a toutefois mesuré des variations, pour une région donnée, au moment où les sujets changeaient de tâche, suggérant un lien entre les processus cognitifs et les émissions.
Les chercheurs ont donc plus de questions que de réponses quant au rôle des UPE dans le cerveau.
"C’est une approche très étonnante, recelant un potentiel intéressant pour la mesure de l’activité cérébrale, même si de nombreuses incertitudes subsistent", juge Michael Gramlich, biophysicien à l’université d’Auburn, en Alabama, aux États-Unis, qui n’a pas participé à l’étude". La question essentielle est de savoir si les UPE constituent un mécanisme actif de modification des processus cognitifs ou s’ils ne font que renforcer des mécanismes cognitifs connus".
Daniel Remondini, biophysicien à l’université de Bologne, en Italie, soulève une autre question: "Quelle distance ces photons peuvent-ils parcourir à l’intérieur des tissus biologiques?".
La réponse pourrait aider à éclaircir la relation entre activité cérébrale et émissions de photons issues de différentes régions du cerveau.
Pour répondre à ces nouvelles interrogations, l’équipe de Nirosha Murugan envisage d’utiliser des réseaux de capteurs plus précis afin de déterminer l’origine des photons dans le cerveau. Des scientifiques de l’université de Rochester développent également des sondes nanométriques pour évaluer la capacité des fibres nerveuses à transmettre des bio-photons.
Même si la lueur émise par notre cerveau ne joue aucun rôle dans son fonctionnement, la technique consistant à mesurer les biophotons en même temps que les signaux électriques – ce que Nirosha Murugan et ses collègues appellent la " photoencéphalographie " – pourrait un jour constituer un moyen utile de recueillir de manière non invasive des informations sur son état". Il est possible que cette technique soit largement adoptée dans les décennies à venir, même si la théorie selon laquelle les UPE soutiennent la cognition se révèle fausse ", anticipe Michael Gramlich.
Auteur: Conor Feehly
Conor Feehly est journaliste scientifique. Il travaille notamment pour Scientific American, New Scientist, Discover ou Nautilus.