Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 10

  • L’hypothèse du libre arbitre est-elle invalidée par la science?

    Albert Moukheiber face à Robert Sapolsky

    Et si la science pouvait répondre à des problèmes philosophiques lancinants? Enfin traduit en français, le célèbre neurobiologiste américain Robert Sapolsky soutient que le libre arbitre n’existe pas dans son dernier livre, Déterminisme (Arpa, 2025). Le chercheur français Albert Moukheiber, lui-même neuroscientifique et psychologue, auteur de Neuromania (Allary Éditions, 2024), a voulu débattre avec lui de certaines de ses conclusions pour Philosophie magazine. Voici la transcription de leur dialogue.

    Albert Moukheiber: Je suis les publications de Robert Sapolsky depuis longtemps, notamment Why Zebras Don’t Get Ulcers ("Pourquoi les zèbres ne développent pas d’ulcères", non traduit, Freeman, 1994) et Behave: The Biology of Humans at Our Best and Worst ("Tiens-toi bien! La biologie humaine pour le meilleur et pour le pire ", non traduit, Penguin, 2017) et j’ai lu Déterminisme. Une science de la vie sans libre arbitre dès sa parution en anglais (sous le titre Determined), mais je suis ravi que ses travaux commencent à être traduits et accessibles au lectorat francophone.

    Comme Oliver Sacks, l’auteur de L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau (1985), je le considère comme l’un des meilleurs auteurs scientifiques de notre époque – d’autant plus qu’il m’intéresse également par rapport à ma pratique de psychologue clinicien. Pour en revenir à Déterminisme, il me semble que l’ouvrage est divisé en deux parties: une première, scientifique, est consacrée à la science du libre arbitre, et j’ai -sur elle- quelques réserves, tandis qu’une seconde, tout aussi intéressante que la première dont elle tire les conséquences, adopte une position résolument politique et sociale. Mes réserves portent sur ce point: quand on parle de "libre arbitre", il faut définir précisément ce qu’on entend par là.

    Or il me semble que vous le pensez comme un équivalent du "premier moteur" d’Aristote, un début absolu qui donne l’impulsion initiale d’un mouvement. Mais on n’est pas obligé de placer la barre aussi haut, car en procédant ainsi, on a beau jeu ensuite de considérer que rien ne remplit de telles conditions… Alors que si on la plaçait plus bas, il serait sans doute possible d’admettre quelque chose comme un libre arbitre.

    “uand on parle de ‘libre arbitre’, il faut définir précisément ce qu’on entend par là” Albert Moukheiber

    Robert Sapolsky: À un niveau empirique, je demande qu’on me montre un seul comportement qui soit complètement indépendant de toute influence liée à la génétique, aux hormones, aux conditions socio-économiques, à l’environnement, à l’histoire personnelle, à ce qui a été consommé au petit-déjeuner, à la paire de chaussettes portée, etc. Ce n’est pas qu’une affaire de neurosciences, car c’est l’interconnexion de toutes ces données qu’il faut alors prendre en considération. Or la plupart des philosophes – mais aussi des juristes – sont ce que j’appelle des "compatibilistes", c’est-à-dire que sans nier l’existence de ces déterminations, ils maintiennent quand même que le libre arbitre existe. Daniel Dennett, par exemple, conserve le principe de la possibilité d’un choix. Or comment un choix pourrait-il exister, sinon par magie?

    1. M.: J’ai pensé en vous lisant au démon de Laplace, cette expérience de pensée proposée par le savant français Pierre-Simon de Laplace (1749-1827) qui imaginait un esprit capable de connaître et de prédire toutes les positions et tous les mouvements de tous les atomes de l’univers. Or on sait que les théories du chaos nous empêchent de valider cette hypothèse de prédictibilité totale. Mais il est possible de définir autrement le libre arbitre: en psychologie, le libre arbitre est compatible avec la métacognition, c’est-à-dire la prise de conscience qu’on a sur ses propres processus mentaux. Il ne s’agit pas de prétendre que le libre arbitre surgit de nulle part, mais qu’il s’agit plutôt de feedback loops [boucles de rétroaction], c’est-à-dire qu’il s’établit à partir de mécanismes de rétroactions qui permettent une forme de délibération métacognitive et, in fine, de volonté.
  • Nous vivons plus vieux, mais ne vieillissons pas moins vite

    Une étude casse un mythe

    Les gains de longévité au fil des générations ne résulteraient pas de changements dans notre biologie.

    Les changements observés dans notre longévité au fil des générations seraient les conséquences de bouleversements historiques et non de modifications de la biologie du vieillissement, selon une étude démographique récente. Alors qu’on pensait que les progrès médicaux pourraient infléchir notre rythme de sénescence, l’enquête suggère que seul le taux de mortalité a évolué et que nous vieillissons toujours à la même vitesse.

    Le vieillissement se définit comme le déclin progressif des fonctions physiologiques avec l’âge. Il se manifeste par un ensemble de symptômes tels que le blanchissement des cheveux, les rides, le déclin de la vision ou une plus grande vulnérabilité aux maladies et aux blessures. Ces phénomènes trouvent leur origine au niveau cellulaire dans la senescence.

    Bien qu’il existe encore des disparités régionales, notre espérance de vie a globalement beaucoup augmenté depuis plus d’un siècle. Depuis le milieu du XIXe siècle, elle a crû d’environ deux ans par décennie en moyenne. Cette évolution s’explique principalement par la baisse de la mortalité chez les personnes âgées, non seulement grâce aux progrès médicaux, mais aussi en raison de facteurs tels qu’un mode de vie et une alimentation plus sains.

    Cette augmentation de la durée de vie et la baisse de la mortalité mondiale figurent parmi les réussites majeures de la société moderne. Certains experts se sont alors demandé si ces progrès traduisaient une transformation de notre biologie du vieillissement : vieillissons-nous plus lentement ou commençons-nous simplement à vieillir plus tard ?

    En 2010, James W. Vaupel, spécialiste américain du vieillissement et de la biodémographie, a suggéré que le taux de vieillissement — ou senescences — serait resté constant d’une génération à l’autre, mais que le processus aurait été retardé d’environ une décennie en moyenne. Autrement dit, nous ne vieillirions pas plus lentement, mais plus tard. Selon ses analyses, les gains d’espérance de vie constatés depuis un siècle refléteraient ce vieillissement différé, et non une modification de notre vitesse de senescences. Il fondait cette hypothèse sur l’observation de tendances de mortalité restées globalement stables dans les données démographiques jusqu’en 1994.

    Cette théorie reste débattue, notamment en raison de variations légères mais persistantes dans les taux de vieillissement entre populations. Dans une étude récente publiée sur le serveur de prépublication Silvio Patricio, assistant de recherche au Centre interdisciplinaire sur la dynamique des populations de l’Université du Danemark du Sud, revisite la proposition de Vaupel en y intégrant de nouvelles variables, telles que les bouleversements historiques.

    "Ces tendances [les gains d’espérance de vie] soulèvent une question plus profonde: observons-nous un réel changement biologique dans le vieillissement humain, ou autre chose?", écrit-il dans son article.

    "Il est possible que ce qui ressemble à un changement [du rythme de vieillissement] ne soit pas du tout biologique, mais historique", avance-t-il.

    UNE VITESSE DE VIEILLISSEMENT BIOLOGIQUE CONSTANTE ?

    D’après le chercheur, des événements ponctuels tels que les deux guerres mondiales ou la grippe espagnole de 1918 engendrent de profonds bouleversements à l’échelle mondiale et affectent de nombreuses cohortes à la fois, mais à des âges différents. Ils sont susceptibles de biaiser les schémas de mortalité au niveau des cohortes s’ils engendrent des conséquences durables. Ces biais ne se manifesteraient pas de manière brusque, mais plutôt par des changements lents et cumulatifs.

    "Au fil du temps, ces fluctuations peuvent s’accumuler, créant ce qui ressemble à un changement de la courbe de la mortalité, même si le [rythme de] vieillissement lui-même n’a pas changé ", explique-t-il. Bien que difficiles à observer directement, ces effets laisseraient des traces progressives et durables dans les statistiques démographiques.

    Pour étayer son hypothèse, Patricio a analysé les données de mortalité par cohorte en France, au Danemark, en Italie et en Suède. Après avoir affiné ces données pour atténuer l’influence de la mortalité précoce, il a développé un modèle mixte permettant de distinguer la mortalité liée à l’âge de la mortalité générale ou induite par d’autres facteurs.

    "Nous utilisons un cadre en deux étapes pour d’abord isoler la mortalité sénescente, puis décomposer la courbe de Gompertz en trois composantes: une constante biologique, une tendance potentielle et un effet de période cumulé", précise-t-il. La courbe de Gompertz est un modèle mathématique standard permettant de représenter la mortalité qui croît de façon exponentielle avec l’âge.

    Le chercheur a constaté que le vieillissement n’est pas parfaitement constant dans l’ensemble des cohortes analysées. Selon lui, ces variations ne seraient pas d’origine biologique mais s’expliqueraient plutôt par des chocs démographiques associés aux grands bouleversements passés. En effet, "une fois pris en compte les décès non sénescents et les chocs historiques, la courbe de Gompertz apparaît remarquablement stable", observe-t-il.

    Les données suggèrent que certaines populations conservent encore des " séquelles démographiques" d’événements anciens. Et même si la longévité s’est transformée au fil des générations, la vitesse à laquelle nous vieillissons serait, biologiquement, demeurée la même.

    "Le rythme fondamental du vieillissement humain pourrait être biologiquement stable, mais modelé par l’histoire", conclut Patricio.

    Source: arXiv