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Réponse avec Michel Desmurget
Un article rédigé par Matthieu Riolland - RCF Poitou Deux-Sèvres
Michel Desmurget est docteur en neuroscience et directeur de recherche à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Il est spécialisé dans le développement cognitif des enfants. Il a écrit plusieurs livres à ce sujet: “La fabrique du crétin digital”, “Faites-les lire” ou encore “TV lobotomie”. Pendant plus d’une heure et demi de conférence, il est revenu sur les effets négatifs des écrans. Après sa conférence, il a répondu à nos questions.
RCF: D'après les données sur lesquelles vous vous appuyez, certains enfants entre deux et quatre ans passeraient en moyenne près de trois heures par jour devant les écrans. Le problème, c’est que ce temps n’est pas utilisé pour d’autres activités importantes?
Michel Desmurget: Je reviens au chiffre des trois heures. Il est colossal car ce sont des enfants qui dorment douze à quatorze heures par jour. Donc, c'est faramineux.
Il y a des impacts directs. Le cerveau n'est pas fait pour être sollicité sans arrêt, pour encaisser des stimulations sensorielles, du bruit, des images, des sons. Par exemple, les rats et les souris ont une physiologie cérébrale qui est assez proche. Quand on élève ces animaux-là avec des sons de dessins animés et des images des lumières correspondantes, on s'aperçoit qu’ils construisent des troubles de la concentration, des troubles de l'impulsivité, des troubles de l'apprentissage. Cette surstimulation sensorielle constante des écrans a en elle-même des impacts qui sont extrêmement délétères sur la concentration, sur le sommeil et sur le développement de l'enfant.
Et puis il y a des effets indirects. Quand vous passez trois heures sur les écrans, il faut forcément prendre le temps quelque part. La première victime temporelle, c'est le sommeil. On ne dort pas pour se reposer, on dort parce qu'il y a des choses que le cerveau ne peut pas faire quand on est réveillé. En gros, le cerveau assure la maintenance de l'organisme. Tout ce qu'il ne peut pas faire quand on est réveillé, parce qu’il est trop sollicité, il le fait pendant qu'on dort.
Il y a des effets aussi sur les interactions intrafamiliales. Pour un jeune enfant, le développement de son langage, le développement de ses connaissances générales, dépend énormément des interactions verbales qu'il va avoir avec son milieu. C'est-à-dire que quand l'enfant est sur l'écran, il ne parle pas, ça altère énormément ces interactions intrafamiliales entre adulte et enfant. Il ne s'agit pas de culpabiliser les parents, mais c'est pareil pour le temps que les parents passent sur les écrans en présence des enfants.
Le troisième effet, c'est le temps pris à la lecture. On sous-estime massivement les apports positifs et l'importance de la lecture dans le développement de l'enfant, dans sa réussite scolaire ultérieure. Ces écrans prennent du temps à d'autres activités qui sont absolument essentielles.
RCF: On peut lire, apprendre de nouvelles langues grâce aux écrans. Pourquoi être aussi critique?
Il est évident que si nos enfants lisaient sur les écrans, ou consultaient des tutos de résolution d'équations, il n'y aurait pas de problème.
La réalité, c'est qu'ils utilisent ces écrans dans leur quasi-totalité pour des activités récréatives. 90% du temps d'écran ou plus est consacré à trois activités: la télévision (les séries, les films, les streamings, etc.), les jeux vidéo et les réseaux sociaux. Ce sont des activités qui ont des effets extrêmement néfastes sur le développement de l'enfant, sur la concentration, sur le langage, sur le sommeil, sur la santé mentale, qui sont maintenant des éléments avérés.
Il s'agit plutôt de dire que les écrans sont utilisés de la façon la plus délétère qui soit, et le problème est là.
RCF: Quelles sont les limites pour qu’un enfant se développe dans de bonnes conditions?
Les écrans récréatifs, à tous les âges, c'est le moins le mieux. Il faut essayer de protéger l'enfant dans les phases initiales précoces de grande plasticité, donc de grande vulnérabilité cérébrale. L'idéal, c'est zéro écran jusqu'à six ans parce que la plasticité cérébrale, la structuration des réseaux du langage nécessitent vraiment un fort engagement.
Après six ans, les études montrent que, si le sommeil est respecté, si les contenus sont adaptés, jusqu'à une demi-heure par jour, il n'y a pas d'impact négatif. Dès qu'on arrive à une heure, on commence à avoir des effets.
Les 13-18 ans, jusqu'à une demi-heure par jour, on n'a pas d'effet. On commence à avoir des effets négatifs qu'on peut juger tolérables à cet âge-là jusqu'à une heure. Mais surtout, ne pas dépasser une heure et demie, deux heures, parce que ça devient colossal.
On me dit: “Il faut vivre avec son temps”. Les études montrent qu'il n'y a pas de détriment à ne pas être exposé aux écrans et qu'il y en a des normes à y être exposés.
RCF: Comment expliquer qu’il n’y a pas encore de changement?
Il y a des intérêts financiers colossaux derrière. Des entreprises, comme Tik Tok, Meta, Instagram, Netflix, les entreprises de jeux vidéo, etc. Il y a, d'ailleurs, une étude intéressante du service investigation de France Info qui montre qu’à l'éducation nationale, il y a certains experts qui sont curieusement proches des GAFAM.
Maintenant, les rapports se multiplient. Ils disent à peu près tous la même chose et ils font un constat négatif. Le dernier rapport parlementaire sur TikTok est absolument effarant. Il nous explique que TikTok broie le cerveau de nos gamins. Donc, à un moment donné, il faut arrêter les rapports et il va falloir quand même commencer à agir.
J'ai la faiblesse de croire que l'action la plus décisive et la plus efficace se fera sans doute au niveau de la société civile et au niveau des parents, des enseignants et des gens qui sont au contact. Donc, il faut qu'en tant que parents, on s'y mette, parce que si on attend que l'Europe et les différentes strates politiques se mettent en marche, on risque de voir encore quelques générations tristement sacrifiées.