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science - Page 13

  • Pourquoi nous oublions ce que nous avons appris

    Certains apprentissages, de la grammaire au vélo, nous suivent toute notre vie. D’autres notions, acquises pour un devoir sur table ou un examen, finissent par s’évaporer très vite, une fois l’échéance passée. Comment l’expliquer? Et comment ancrer les savoirs dans nos mémoires?

    Tata Noelia, j’ai une question: puisque mon corps se muscle si je fais beaucoup de sport, est-ce que mon cerveau grossira si j’étudie beaucoup? Est-ce parce que je n’ai plus de place dans mon cerveau que j’oublie ce que j’apprends à l’école?

    C’est le genre de question que peut poser un enfant, à l’instar de ma nièce qui a déjà l’intuition que la mémoire réside d’une manière ou d’une autre dans le cerveau. Qui ne s’est pas déjà demandé où et comment sont stockées les choses que l’on apprend? Ou pourquoi on oublie l’essentiel de ce qu’on étudie?

    APPRENDRE, MÉMORISER ET SE SOUVENIR

    Apprendre consiste à acquérir une nouvelle information ou un nouveau savoir-faire par l’observation, la pratique ou l’enseignement. La mémorisation, qui désigne le stockage et l’utilisation de cette information ou expérience, s’obtient par la répétition. Se souvenir, c’est être capable d’accéder à l’information stockée et de la reconstruire.

    On peut apprendre quelque chose de nouveau et le mémoriser de façon à s’en souvenir à jamais, comme faire du vélo ou mettre une majuscule au début des noms propres, mais on peut aussi apprendre quelque chose et l’oublier peu de temps après, comme le calcul d’une racine carrée ou les noms des capitales asiatiques.

    Depuis quelques années, le rôle de la mémorisation, technique traditionnelle d’apprentissage, est au cœur des débats et de la recherche scientifique. Mais quand les professeurs que nous sommes parlent d’apprentissage profond, ce qui nous mobilise, en réalité, c’est l’acquisition d’une mémoire à long terme, par opposition à la mémoire à court terme, concernant ce qu’on oublie vite, comme le code que l’on ne retient que le temps de confirmer un virement via une appli, ou les réponses à un examen qu’on a révisé la veille.

    La mémoire est un processus en quatre étapes: l’encodage, la consolidation, la récupération et l’oubli. Chacune de ces phases est marquée par des changements physiques dans des groupes de neurones que l’on appelle" engrammes". On suppose que ce sont eux qui laissent des traces physiques de la mémoire dans notre cerveau.

    LES ENJEUX DE LA REPETITION

    Toute nouvelle expérience provoque une stimulation coordonnée de groupes de neurones précis (encodage). S’ils sont à nouveau stimulés, ces neurones génèrent des souvenirs ténus, très sensibles aux interférences, qui se perdent vite à moins d’être entretenus.

    La deuxième phase de la mémoire est rendue possible par la plasticité neuronale. La transformation de ce souvenir fragile (à court terme) en souvenir persistant à long terme requiert des changements structuraux et des réorganisations dans les engrammes (consolidation). Ces changements culminent avec la formation de synapses supplémentaires (connexion chimique) entre les neurones coactivés au moment de l’apprentissage. C’est ce qui permet la survie de l’information en vue d’un futur rappel.

    Le facteur dont dépend la réalisation de cette connexion synaptique, c’est la répétition. La répétition d’activités ou l’évocation de concepts provoque l’activation des engrammes le temps nécessaire au développement de nouvelles synapses.

    Curieusement, les représentations répétées d’un événement d’apprentissage qui se produisent pendant le sommeil entraînent l’activation spontanée des engrammes. D’où l’idée que le sommeil renforce la mémoire.

    SOUVENIR ET OUBLI

    Les nouvelles synapses qui forment la mémoire à long terme perdurent même lorsqu’elles ne sont plus utilisées. C’est ce phénomène qui rend possible la récupération du souvenir. Ce rappel est d’autant plus efficace que le contexte de récupération coïncide avec celui qui a provoqué l’encodage et la consolidation, car lors de cette phase le cerveau doit retrouver les mêmes schémas d’activité neuronale que ceux de l’apprentissage initial.

    Quant à la dernière phase dans l’acquisition de la mémoire, il s’agit de… l’oubli. Le renforcement de certains engrammes au moment de la consolidation d’un souvenir implique nécessairement l’élimination d’autres souvenirs (pour" faire de la place" dans le cerveau). Cet oubli se produit grâce à l’affaiblissement de circuits existants, l’occupation de l’espace synaptique par les nouveaux processus de neurogenèse, et même l’élimination de synapses par des cellules spécialisées du cerveau.

    Des expériences récentes ont montré que la plasticité inhibitrice (l’élimination de certains circuits pour en créer de nouveaux) lors de la consolidation du souvenir conditionne la sélectivité des circuits d’engrammes, qui" conservent" un souvenir concret.

    CE QUE NOUS ETUDIONS EST-IL CONDAMNE A L’OUBLI?

    Dans son livre ¿Cómo aprendemos? Una aproximación científica al aprendizaje y la enseñanza (en français Comment apprenons-nous? Une perspective scientifique sur l’apprentissage et l’enseignement), Héctor Ruiz nous donne quelques conseils.

    Premièrement, il est plus facile d’engranger de nouvelles connaissances si on les relie à des connaissances stockées antérieurement (engrammes activés).

    Deuxièmement, on mémorise mieux des informations qui font l’objet de raisonnements. Voir ou écouter une chose plusieurs fois ne signifie pas qu’on va s’en rappeler. Mais si on réfléchit à cette chose, notre capacité à la mémoriser augmente (consolidation des engrammes).

    Troisièmement, il est important d’approfondir l’objet de l’apprentissage, c’est-à-dire de réfléchir à la même idée dans différents contextes, de manière à faciliter la récupération ultérieure.

    Tout cela doit se traduire par un enseignement actif permettant aux étudiants d’appliquer, d’interpréter, d’évaluer ou d’expliquer la connaissance en question pour lui donner un sens, et donc de pratiquer la répétition, ce qui active les engrammes jusqu’à vingt fois plus que l’apprentissage initial.

    À l’inverse, étudier juste avant un examen ne génère vraisemblablement aucune trace durable dans notre cerveau.

    Traduit de l’espagnol par Métissa André for Fast ForWord

    Auteur: Noelia VALLE - Profesora de Fisiología, Universidad Francisco de Vitoria

    The Conversation - CC BY ND

  • Les mauvais souvenirs ne sont pas indélébiles

    L'optogénétique, née dans les années 2000, combine la génétique à l'optique. En modifiant le génome de certains neurones de manière à les rendre sensibles à la lumière, on peut contrôler l'activité de ces cellules.

    La propriété (de renversement) de la mémoire est utilisée cliniquement pour traiter des maladies mentales, cependant les mécanismes neuronaux et les circuits du cerveau qui autorisent ce changement de registre émotionnel demeurent largement méconnus. L'objet d'une étude dont les résultats ont été publiés mercredi dans la revue scientifique Nature était de décrypter ces procédés sous-jacents, ouvrant la voie à de nouvelles pistes pour soigner des pathologies comme la dépression ou les troubles de stress post-traumatique. Elle valide aussi le succès de la psychothérapie actuelle, explique le Prix Nobel de médecine Susumu Tonegawa qui a mené cette recherche.

    Ces travaux, fruit d'une collaboration entre l'institut japonais Riken et le Massachussets Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, s'appuient sur une nouvelle technologie de contrôle du cerveau via la lumière appelée optogénétique. Il permet de mieux comprendre ce qui se passe quand on se remémore de bons ou mauvais moments et comment on peut modifier la valeur (négative ou positive) associée à un souvenir. Les résultats démontrent que l'interaction entre l'hippocampe, partie du cerveau qui joue un rôle central dans la mémoire et l'amygdale, censée être une sorte de chambre de stockage des réactions positives et négatives, est plus flexible que ce qu'on pensait jusqu'à présent.

    Pour parvenir à de telles conclusions, les chercheurs ont injecté une protéine d’algue sensible à la lumière à deux groupes de souris mâles. Ils ont ainsi pu suivre la formation d'une inscription en mémoire en temps réel, qu'ils ont réactivée à leur gré grâce à des impulsions lumineuses.

    Certains rongeurs ont ensuite été autorisés à jouer avec des femelles afin de créer un souvenir connoté positivement, tandis que leurs camarades se voyaient au contraire asséner un déplaisant choc électrique.

    Le prix Nobel Tonegawa souligne que les résultats des travaux de son équipe concernant la possibilité de supprimer des souvenirs désagréables par optogénétique chez des souris ne peuvent pas se transposer immédiatement chez l’homme sous forme de thérapies pour des patients. Il n’existe pas encore de la technologie pour cela et l’on ne peut donc pas manipuler les neurones d’une personne comme les chercheurs l’ont fait chez ces animaux. Toutefois, les expériences indiquent qu’il y aurait des circuits neuronaux reliant l’hippocampe et l’amygdale qui pourraient être ciblés à l’aide de nouveaux médicaments.

    Le prix Nobel Tonegawa souligne que les résultats des travaux de son équipe concernant la possibilité de supprimer des souvenirs désagréables par optogénétique chez des souris ne peuvent pas se transposer immédiatement chez l’homme sous forme de thérapies pour des patients. Il n’existe pas encore de la technologie pour cela et l’on ne peut donc pas manipuler les neurones d’une personne comme les chercheurs l’ont fait chez ces animaux. Toutefois, les expériences indiquent qu’il y aurait des circuits neuronaux reliant l’hippocampe et l’amygdale qui pourraient être ciblés à l’aide de nouveaux médicaments.

    TRANSFORMER UNE REPULSION EN ATTIRANCE

    Dans un deuxième temps, les scientifiques leur ont fait artificiellement revivre ces souvenirs, tout en les soumettant simultanément à l'expérience opposée : les souris agréablement disposées recevaient un choc, tandis que les autres avaient la bonne surprise de rencontrer leurs comparses.

    La nouvelle expérience a pris le dessus sur l'émotion initiale. « Nous avons fait un test dans la première cage de laboratoire et la crainte originelle avait disparu », décrit Susumu Tonegawa. Cependant ce phénomène n'a pu être observé qu'en agissant sur l'hippocampe, sensible au contexte environnant alors qu'il n'a pas été possible d'influer sur l'amygdale.

    Les chercheurs qui avaient déjà publié des travaux sur l'inscription en mémoire de faux souvenirs chez une souris, espèrent que leurs découvertes du changement de valence positive à négative (d'attirance à répulsion) et vice versa, feront avancer la recherche médicale sur les maladies de type troubles dépressifs ou post-traumatiques, affectant notamment les militaires. À l'avenir, Tonegawa souhaite pouvoir contrôler les neurones avec une technologie sans fil, sans outil intrusif comme les électrodes et potentiellement faire croître le nombre de souvenirs positifs par rapport aux négatifs.

    Reste à prouver que cette inversion d'émotion associée à un souvenir fonctionne de la même façon chez l'homme que chez la souris, même si l'on sait déjà que les processus mnésiques ont été conservés au cours de l'évolution des espèces. Dans un commentaire rapporté par Nature, les chercheurs Tomonori Takeuchi et Richard Morris de l'université d'Édimbourg en Écosse estiment que cette étude jette une lumière nouvelle sur les mécanismes de la mémoire, tout en relevant les limites de l'optogénétique en la matière.

     

  • Comment le cerveau reconnaît-il les gens?

    Entre les super-reconnaisseurs et les personnes incapables de reconnaître un visage, nous ne sommes pas égaux quant à la reconnaissance des visages. Plongeons dans le cerveau pour comprendre ce mécanisme essentiel à notre vie sociale.

    Rencontrer une personne, c’est d’abord voir son visage.

    Qu’exprime-t-il? Est-il sympathique ou pas? Très vite le cerveau interprète cette image et cherche alors à l’identifier. Parmi les centaines de personnes que je connais, me rappelle-t-elle quelqu’un de familier? L’ai-je déjà croisée?

    Plongeons-nous dans les arcanes de nos capacités cérébrales pour comprendre les secrets de la reconnaissance des visages.

    Chez l’humain, la reconnaissance du visage d’autrui est une fonction essentielle aux interactions sociales. Si cette aptitude existe chez nos cousins les grands singes, l’humain en a développé largement les performances au fur et à mesure de son évolution sociale. Ainsi, tout être humain est capable de reconnaître, le genre, l’âge, l’ethnie, l’expression émotionnelle, jusqu’à l’identité d’une personne, de façon très performante, rapide et automatique.

    Le cerveau s’est spécialisé, au fur et à mesure de l’évolution des hominidés procurant à Sapiens une aptitude exceptionnelle non seulement à reconnaître un visage humain, mais aussi à en comprendre immédiatement l’expression.

    Chaque humain est capable de reconnaître un visage humain, d’analyser son expression et d’en déduire son identité en trois dixièmes de seconde.

    Cette performance perceptive permet à chacun de mémoriser des milliers de visages et de reconnaître l’un des siens le plus familier dans une foule de centaines de personnes. Les progrès de la médecine, l’analyse des conséquences de lésions cérébrales et les données de l’imagerie cérébrale permettent de distinguer précisément les régions spécialisées du cerveau impliquées dans la reconnaissance des visages, et d’en comprendre les mécanismes.

    LE CERVEAU DISTINGUE D’ABORD UN VISAGE D’UN OBJET

    Deux systèmes cérébraux sont responsables de cette fonction. L’un est impliqué dans la perception rapide de l’image d’un visage, et l’autre dans son interprétation permettant de retrouver le nom de la personne reconnue. Le premier système permet la détection immédiate d’un visage et met en jeu le gyrus occipital inférieur, capable de distinguer un visage d’un objet en un dixième de seconde. Pour cela, des signaux essentiels tels le triangle formé par les yeux et la bouche constituent le premier indice. Puis, s’y ajoutent la détection d’autres éléments: le front au-dessus et les oreilles sur les côtés.

    Ce premier système différencie un visage d’un objet mais ne permet pas la reconnaissance. Entre alors en jeu le deuxième système qui implique deux régions différentes. D’abord celle localisée dans le sillon temporal supérieur qui détecte l’expression du visage: le regard, et l’émotion suscitée, ainsi que le mouvement des lèvres, des éléments variables selon la situation. Ensuite, une deuxième région intervient, responsable de la perception des éléments fixes et caractéristiques d’un visage (la largeur du nez, la hauteur du front, la forme globale du visage et les détails des sourcils) permettant d’en déduire son identité: le gyrus fusiforme latéral droit.

    Dans un second temps, le cerveau reconnaît le visage

    Une aire du cerveau est spécialisée dans la reconnaissance de l’identité: le gyrus fusiforme. C’est un repli de la face inférieure du lobe temporal droit, dont les neurones sont spécialisés dans la reconnaissance de l’identité d’un visage. C’est l’une des rares régions du cerveau dont le volume augmente après l’adolescence au fur et à mesure de la rencontre d’un grand nombre de personnes.

    Utilisant les informations envoyées par le système initial de perception d’un visage, cette région décode les traits morphologiques statiques d’un visage connu et mémorisé, se focalisant sur les infos apportées par les yeux, les sourcils et la bouche. Entre 300 millisecondes et une seconde, ses neurones communiquent avec la région temporale antérieure, pour interroger nos souvenirs et donner rapidement le nom de la personne identifiée. Des lésions spécifiques de cette région entraînent un trouble connu sous le nom de prosopagnosie, ou incapacité à reconnaître l’identité d’un visage.

    Les deux régions clés, l’une impliquée dans la perception de l’expression du visage et l’autre dans son identité, collaborent activement avec plusieurs aires du cerveau cognitif. Ainsi, les neurones du sillon temporal supérieur interrogent le lobe pariétal et l’aire auditive pour interpréter les mouvements et les mimiques du visage ainsi que le timbre de la voix. De plus, mimiques et expressions du visage sont traduites par le cerveau des émotions, pour en interpréter la charge émotive. L’ensemble de ces infos est partagé avec les neurones du gyrus fusiforme qui les utilise pour les comparer à des visages mémorisés. De même, ces informations interrogent la mémoire des noms de personnes connues pour y retrouver l’identité précise du visage reconnu.

    L’INCAPACITE A RECONNAITRE UN VISAGE: LA PROSOPAGNOSIE

    La prosopagnosie est un trouble de reconnaissance des visages, rendant impossible l’identification de visages familiers. Les sujets présentant ce trouble sont capables de voir, mais pas de reconnaître.

    Le sujet atteint doit alors utiliser des subterfuges cognitifs pour reconnaître la personne rencontrée: démarche, corpulence, coiffure, détails vestimentaires. La proportion mondiale de personnes présentant ce trouble reste encore mal connue, même si on l’estime à environ 2%. Il existe des causes innées et acquises responsables de ce trouble. La prosopagnosie innée est liée à un défaut de développement congénital et postnatal du gyrus fusiforme. La prosopagnosie acquise s’observe souvent à la suite d’un accident vasculaire cérébral siégeant dans le lobe temporal ventral, ou au décours d’un TRAUMATISME CRANIEN, NON RAPIDEMENT PRIS EN CHARGE.

    LES SUPER-RECONNAISSEURS

    Contrairement aux sujets présentant un défaut de reconnaissance des visages ou prosopagnosie, il existe des personnes très performantes à reconnaître des visages déjà mémorisés. Selon les experts ayant étudié les qualités visuelles de ces personnes, elles possèdent une capacité supérieure à la moyenne à percevoir de subtiles différences entre les visages.

    Si elles ne développent pas toutes des capacités mémorielles supérieures aux autres, leurs acuités perceptives des détails d’un visage sont accrues. Par exemple, elles possèdent cette capacité étonnante à reconnaître aisément une personnalité célèbre, en visualisant des images de leur visage enfantin.

    Auteur: Bernard Sablonnière - Neurobiologiste, professeur des universités − praticien hospitalier, faculté de médecine, Inserm U1172, Université de Lille

    The Conversation - CC BY ND