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science - Page 10

  • Nous vivons plus vieux, mais ne vieillissons pas moins vite

    Une étude casse un mythe

    Les gains de longévité au fil des générations ne résulteraient pas de changements dans notre biologie.

    Les changements observés dans notre longévité au fil des générations seraient les conséquences de bouleversements historiques et non de modifications de la biologie du vieillissement, selon une étude démographique récente. Alors qu’on pensait que les progrès médicaux pourraient infléchir notre rythme de sénescence, l’enquête suggère que seul le taux de mortalité a évolué et que nous vieillissons toujours à la même vitesse.

    Le vieillissement se définit comme le déclin progressif des fonctions physiologiques avec l’âge. Il se manifeste par un ensemble de symptômes tels que le blanchissement des cheveux, les rides, le déclin de la vision ou une plus grande vulnérabilité aux maladies et aux blessures. Ces phénomènes trouvent leur origine au niveau cellulaire dans la senescence.

    Bien qu’il existe encore des disparités régionales, notre espérance de vie a globalement beaucoup augmenté depuis plus d’un siècle. Depuis le milieu du XIXe siècle, elle a crû d’environ deux ans par décennie en moyenne. Cette évolution s’explique principalement par la baisse de la mortalité chez les personnes âgées, non seulement grâce aux progrès médicaux, mais aussi en raison de facteurs tels qu’un mode de vie et une alimentation plus sains.

    Cette augmentation de la durée de vie et la baisse de la mortalité mondiale figurent parmi les réussites majeures de la société moderne. Certains experts se sont alors demandé si ces progrès traduisaient une transformation de notre biologie du vieillissement : vieillissons-nous plus lentement ou commençons-nous simplement à vieillir plus tard ?

    En 2010, James W. Vaupel, spécialiste américain du vieillissement et de la biodémographie, a suggéré que le taux de vieillissement — ou senescences — serait resté constant d’une génération à l’autre, mais que le processus aurait été retardé d’environ une décennie en moyenne. Autrement dit, nous ne vieillirions pas plus lentement, mais plus tard. Selon ses analyses, les gains d’espérance de vie constatés depuis un siècle refléteraient ce vieillissement différé, et non une modification de notre vitesse de senescences. Il fondait cette hypothèse sur l’observation de tendances de mortalité restées globalement stables dans les données démographiques jusqu’en 1994.

    Cette théorie reste débattue, notamment en raison de variations légères mais persistantes dans les taux de vieillissement entre populations. Dans une étude récente publiée sur le serveur de prépublication Silvio Patricio, assistant de recherche au Centre interdisciplinaire sur la dynamique des populations de l’Université du Danemark du Sud, revisite la proposition de Vaupel en y intégrant de nouvelles variables, telles que les bouleversements historiques.

    "Ces tendances [les gains d’espérance de vie] soulèvent une question plus profonde: observons-nous un réel changement biologique dans le vieillissement humain, ou autre chose?", écrit-il dans son article.

    "Il est possible que ce qui ressemble à un changement [du rythme de vieillissement] ne soit pas du tout biologique, mais historique", avance-t-il.

    UNE VITESSE DE VIEILLISSEMENT BIOLOGIQUE CONSTANTE ?

    D’après le chercheur, des événements ponctuels tels que les deux guerres mondiales ou la grippe espagnole de 1918 engendrent de profonds bouleversements à l’échelle mondiale et affectent de nombreuses cohortes à la fois, mais à des âges différents. Ils sont susceptibles de biaiser les schémas de mortalité au niveau des cohortes s’ils engendrent des conséquences durables. Ces biais ne se manifesteraient pas de manière brusque, mais plutôt par des changements lents et cumulatifs.

    "Au fil du temps, ces fluctuations peuvent s’accumuler, créant ce qui ressemble à un changement de la courbe de la mortalité, même si le [rythme de] vieillissement lui-même n’a pas changé ", explique-t-il. Bien que difficiles à observer directement, ces effets laisseraient des traces progressives et durables dans les statistiques démographiques.

    Pour étayer son hypothèse, Patricio a analysé les données de mortalité par cohorte en France, au Danemark, en Italie et en Suède. Après avoir affiné ces données pour atténuer l’influence de la mortalité précoce, il a développé un modèle mixte permettant de distinguer la mortalité liée à l’âge de la mortalité générale ou induite par d’autres facteurs.

    "Nous utilisons un cadre en deux étapes pour d’abord isoler la mortalité sénescente, puis décomposer la courbe de Gompertz en trois composantes: une constante biologique, une tendance potentielle et un effet de période cumulé", précise-t-il. La courbe de Gompertz est un modèle mathématique standard permettant de représenter la mortalité qui croît de façon exponentielle avec l’âge.

    Le chercheur a constaté que le vieillissement n’est pas parfaitement constant dans l’ensemble des cohortes analysées. Selon lui, ces variations ne seraient pas d’origine biologique mais s’expliqueraient plutôt par des chocs démographiques associés aux grands bouleversements passés. En effet, "une fois pris en compte les décès non sénescents et les chocs historiques, la courbe de Gompertz apparaît remarquablement stable", observe-t-il.

    Les données suggèrent que certaines populations conservent encore des " séquelles démographiques" d’événements anciens. Et même si la longévité s’est transformée au fil des générations, la vitesse à laquelle nous vieillissons serait, biologiquement, demeurée la même.

    "Le rythme fondamental du vieillissement humain pourrait être biologiquement stable, mais modelé par l’histoire", conclut Patricio.

    Source: arXiv

  • Combien de temps l’humanité survivrait-elle si l’on arrêtait de faire des enfants?

    Image IA, générée par moi

     

    Suffit-il de calculer l’espérance de vie maximale d’un humain pour deviner combien de temps mettrait l’humanité à disparaître si l’on arrêtait de se reproduire? Pas si simple répond l’anthropologue américain Michael A. Little dans cet article à destination des plus jeunes.

    Très peu de personnes vivent au-delà d’un siècle. Ainsi, si plus personne n’avait d’enfants, il ne resterait probablement plus d’humains sur Terre dans 100 ans. Mais avant cela, la population commencerait à diminuer, à mesure que les personnes âgées mourraient sans qu’aucune nouvelle naissance ne vienne les remplacer. Même si toutes les naissances cessaient soudainement, ce déclin serait au départ progressif.

    UN EFFONDREMENT DES SOCIÉTÉS

    Mais peu à peu, il n’y aurait plus assez de jeunes pour assurer les tâches essentielles, ce qui provoquerait un effondrement rapide des sociétés à travers le monde. Certains de ces bouleversements mettraient à mal notre capacité à produire de la nourriture, à fournir des soins de santé et à accomplir tout ce dont dépend notre quotidien. La nourriture se ferait rare, même s’il y avait moins de bouches à nourrir.

    En tant que professeur d’anthropologie ayant consacré ma carrière à l’étude des comportements humains, de la biologie et des cultures, je reconnais volontiers que ce scénario n’aurait rien de réjouissant. À terme, la civilisation s’effondrerait. Il est probable qu’il ne resterait plus grand monde d’ici 70 ou 80 ans, plutôt que 100, en raison de la pénurie de nourriture, d’eau potable, de médicaments et de tout ce qui est aujourd’hui facilement accessible et indispensable à la survie.

    L’ELEMENT DÉCLENCHEUR: UNE CATASTROPHE MONDIALE

    Il faut bien reconnaître qu’un arrêt brutal des naissances est hautement improbable, sauf en cas de catastrophe mondiale. Un scénario possible, exploré par l’écrivain Kurt Vonnegut dans son roman Galápagos, serait celui d’une maladie hautement contagieuse rendant infertiles toutes les personnes en âge de procréer.

    Autre scénario: une guerre nucléaire dont personne ne sortirait vivant – un thème traité dans de nombreux films et livres effrayants. Beaucoup de ces œuvres de science-fiction mettent en scène des voyages dans l’espace. D’autres tentent d’imaginer un futur terrestre, moins fantaisiste, où la reproduction devient difficile, entraînant un désespoir collectif et la perte de liberté pour celles et ceux encore capables d’avoir des enfants.

    Deux de mes livres préférés sur ce thème sont La Servante écarlate de l’autrice canadienne Margaret Atwood, et Les Fils de l’homme de l’écrivaine britannique P.D. James. Ce sont des récits dystopiques marqués par la souffrance humaine et le désordre. Tous deux ont d’ailleurs été adaptés en séries télévisées ou en films.

    Dans les années 1960 et 1970, beaucoup s’inquiétaient au contraire d’une surpopulation mondiale, synonyme d’autres types de catastrophes. Ces craintes ont elles aussi nourri de nombreuses œuvres dystopiques, au cinéma comme en littérature.

    Un exemple: la série américaine "The Last Man on Earth", une comédie post-apocalyptique qui imagine ce qui pourrait se passer après qu’un virus mortel ait décimé la majeure partie de l’humanité.

    EN ROUTE VERS LES 10 MILLIARDS D’HABITANTS

    La population mondiale continue résolument de croître, même si le rythme de cette croissance a ralenti. Les experts qui étudient les dynamiques démographiques estiment que le nombre total d’habitants atteindra un pic de 10 milliards dans les années 2080, contre 8 milliards aujourd’hui et 4 milliards en 1974.

    La population des États-Unis s’élève actuellement à 342 millions, soit environ 200 millions de plus qu’au moment de ma naissance dans les années 1930. C’est une population importante, mais ces chiffres pourraient progressivement diminuer, aux États-Unis comme ailleurs, si le nombre de décès dépasse celui des naissances.

    En 2024, environ 3,6 millions de bébés sont nés aux États-Unis, contre 4,1 millions en 2004. Dans le même temps, environ 3,3 millions de personnes sont décédées en 2022, contre 2,4 millions vingt ans plus tôt.

    À mesure que ces tendances évoluent, l’un des enjeux essentiels sera de maintenir un équilibre viable entre jeunes et personnes âgées. En effet, ce sont souvent les jeunes qui font tourner la société: ils mettent en œuvre les idées nouvelles et produisent les biens dont nous dépendons.

    Par ailleurs, de nombreuses personnes âgées ont besoin d’aide pour les gestes du quotidien, comme préparer à manger ou s’habiller. Et un grand nombre d’emplois restent plus adaptés aux moins de 65 ans qu’à ceux ayant atteint l’âge habituel de la retraite (plus tardif aux États-Unis).

    TAUX DE NATALITE EN BAISSE

    Dans de nombreux pays, les femmes ont aujourd’hui moins d’enfants au cours de leur vie fertile qu’autrefois. Cette baisse est particulièrement marquée dans certains pays comme l’Inde ou la Corée du Sud.

    Le recul des naissances observé actuellement s’explique en grande partie par le choix de nombreuses personnes de ne pas avoir d’enfants, ou d’en avoir moins que leurs parents. Ce type de déclin démographique peut rester gérable grâce à l’immigration en provenance d’autres pays, mais des préoccupations culturelles et politiques freinent souvent cette solution.

    Parallèlement, de plus en plus d’hommes rencontrent des problèmes de fertilité, ce qui rend leur capacité à avoir des enfants plus incertaine. Si cette tendance s’aggrave, elle pourrait accélérer fortement le déclin de la population.

    LA DISPARITION DES NEANDERTALIENS

    Notre espèce, Homo sapiens, existe depuis au moins 200 000 ans. C’est une très longue période, mais comme tous les êtres vivants sur Terre, nous sommes exposés au risque d’extinction.

    Prenons l’exemple des Néandertaliens, proches parents d’Homo sapiens. Ils sont apparus il y a au moins 400 000 ans. Nos ancêtres humains modernes ont cohabité un temps avec eux, mais les Néandertaliens ont progressivement décliné jusqu’à disparaître il y a environ 40 000 ans.

    Certaines recherches suggèrent que les humains modernes se sont montrés plus efficaces que les Néandertaliens pour assurer leur subsistance et se reproduire. Homo sapiens aurait ainsi eu plus d’enfants, ce qui a favorisé sa survie.

    Si notre espèce venait à disparaître, cela pourrait ouvrir la voie à d’autres animaux pour prospérer sur Terre. Mais ce serait aussi une immense perte, car toute la richesse des réalisations humaines – dans les arts, les sciences, la culture – serait anéantie.

    À mon sens, nous devons prendre certaines mesures pour assurer notre avenir sur cette planète. Cela passe par la lutte contre le changement climatique, la prévention des conflits armés, mais aussi par une prise de conscience de l’importance de préserver la diversité des espèces animales et végétales, qui est essentielle à l’équilibre de la vie sur Terre, y compris pour notre propre survie.

    Auteur: Philippe Ilial - Professeur de Lettres-Histoire. Chargé de cours en Histoire Moderne. Chercheur associé au CMMC, Université Côte d’Azur

    The Conversation - CC BY ND

  • Horloges biologiques: comment savons-nous que le temps passe?

    Beatriz Flamini, une athlète espagnole, est sortie en avril d’un séjour de 500 jours dans une grotte – probablement le séjour le plus long entrepris dans les entrailles de notre planète. Elle a perdu le sens du temps au 65e jour, raconte-t-elle. Enfin, peut-être le 65e. Ce n’est pas la première expérience du genre et, en 1962, quand le français Michel Siffre ressort du gouffre de Scarasson en Italie, il pense qu’il y a passé 33 jours, alors qu’il y sera resté 58 journées effectives.

    Comment et pourquoi l’être humain, isolé, peut-il garder trace d’un temps, certes régulier, mais désynchronisé de l’environnement? Parce que les rythmes biologiques sont au cœur de la vie, qu’ils régulent du niveau moléculaire jusqu’au niveau des organismes.

    Chez les êtres humains, les rythmes journaliers incluent non seulement les cycles d’activité veille/sommeil, mais également la température corporelle, la sécrétion de nombreuses hormones, le métabolisme, le système cardiovasculaire, pour n’en citer que quelques-uns.

    Et ces rythmes ont de nombreuses répercussions, notamment en santé publique. Certaines maladies sont épisodiques, telles que l’asthme, plus sévère la nuit, ou les accidents cardiovasculaires, plus fréquents le matin. Autre exemple, le travail posté (en 3x8 heures): il désynchronise l’humain par rapport à son environnement et pourrait être associé à un risque accru de différents cancers chez les travailleurs, amenant l’OMS à le déclarer comme probablement cancérigène.

    Enfin, les rythmes sont également impliqués dans les interactions que nous avons avec d’autres espèces. Par exemple, la maladie du sommeil (ou "trypanosomiase humaine africaine"), est un trouble de notre rythme journalier causé par le parasite Trypanosoma brucei, dont le métabolisme est également journalier – tout comme notre immunité.

    En matière de temps, nous sommes donc profondément liés à notre environnement et aux espèces qui l’occupent.

    QU’EST-CE QUI DONNE LE TEMPO AUX ORGANISMES?

    Les rotations de la Terre, de la Lune et du soleil génèrent des cycles environnementaux qui ont favorisé la sélection d’horloges biologiques. Une horloge biologique est un mécanisme interne aux organismes, qui en l’absence de signal environnemental fonctionne à sa fréquence propre, d’où le préfixe circa –, signifiant environ, accolé aux noms des horloges. Ce sont ces horloges internes qui produisent les rythmes biologiques et organisent temporellement les systèmes vivants, qu’il s’agisse notamment du comportement, de la physiologie ou de la reproduction. L’alternance régulière du jour et de la nuit a, par exemple, favorisé l’évolution de l’horloge circadienne (circa: environ; diem: le jour).

    Le mécanisme de l’horloge circadienne a d’abord été découvert chez une mouche, la drosophile, entre les années 1980 et les années 2000. Elle repose sur des boucles de rétrocontrôle dans la transcription et la traduction de quelques gènes – un gène A influence l’expression d’un gène B qui à son tour influence l’expression du gène A – dont l’expression dès lors oscille.

    Ce qui donne le tempo aux organismes, ce sont donc leurs gènes, qui sont activés ou inhibés de manière cyclique. Chez la drosophile, au niveau moléculaire, les protéines CLOCK (CLK) et CYCLE (CYC) forment un hétérodimère qui, dans le noyau des cellules, se lie à la région promotrice des gènes period (per) et timeless (tim). Ces gènes sont alors transcrits en ARN, exportés dans le cytoplasme puis traduits en protéines. Ces protéines forment à leur tour un hétérodimère (PER:TIM), sont transportées dans le noyau, et inhibent les protéines activatrices CLOCK et CYCLE.

    En journée, la lumière dégrade la protéine TIM via l’action d’un photorécepteur (une autre protéine, "cryptochrome"), et en l’absence de TIM, PER sera également dégradée. La dégradation des protéines PER et TIM permet aux protéines CLK et CYC d’assurer à nouveau leur action activatrice, démarrant ainsi un nouveau cycle. Enfin, une deuxième boucle, liée à la première, fait intervenir des gènes qui contrôlent l’expression du gène clock.

    Ces gènes sont au cœur du mécanisme horloger, qui, dans son ensemble, repose sur un réseau moléculaire complexe. C’est la régulation fine de l’ensemble des molécules de l’horloge qui en assure le timing et la précision.

    Il n’y a pas une seule horloge circadienne, les gènes horlogers varient en fonction des espèces. Mais le principe reste le même: des gènes dont l’expression oscille. Les rythmes biologiques ont été décrits dans tous les taxa (groupes d’organismes) étudiés jusqu’à présent, ce qui inclut les cyanobactéries, les champignons, les plantes, et les animaux, humains compris.

    Par ailleurs, différents donneurs de temps (zeitgebers) synchronisent l’organisme avec son environnement: la lumière (qui est le donneur de temps le plus décrypté à ce jour), la température, la nourriture notamment.

    UNE HORLOGE INTERNE QUE L’ENVIRONNEMENT AIDE A METTRE A L’HEURE

    Une implication très concrète de cette horloge circadienne concerne par exemple le décalage horaire. Il s’agit du décalage entre le temps interne de l’organisme et le temps du fuseau horaire dans lequel il se trouve.

    Les signaux environnementaux en général, et la lumière en particulier, vont permettre de resynchroniser l’individu: la lumière perçue en fin de nuit permet d’avancer l’horloge, tandis que la lumière perçue au début de la nuit permet de la retarder. Celle perçue au cours de la journée n’a pas d’effet. Chez l’humain, la lumière n’est pas perçue directement par l’horloge moléculaire, mais est captée au niveau de la rétine puis transmise par la voie rétino-hypothalamique à une horloge centrale, où elle modulera la synthèse des protéines de l’horloge. Par ailleurs, le système n’est pas extensible à souhait, il faut approximativement une journée au corps humain pour s’adapter à une heure de décalage.

    Chez Homo sapiens, le temps interne étant en moyenne de 24,2 heures, il nous est plus facile de voyager vers l’ouest et d’allonger nos journées, que de voyager vers l’Est et de les raccourcir. C’est aussi pour cela que les athlètes et chercheurs qui s’isolent dans les profondeurs de la Terre finissent par être désynchronisés par rapport à la vie en surface, et perçoivent finalement moins de journées que les jours solaires de 24 heures.

    DES HORLOGES SAISONNIERES

    L’horloge circadienne n’est pas le seul mécanisme horloger qui existe dans la nature. De nombreux processus biologiques sont saisonniers, comme la migration de certains oiseaux et insectes, la reproduction de nombreuses espèces animales et la floraison chez les végétaux, ou l’hibernation.

    Cette saisonnalité est généralement multifactorielle, et l’un des facteurs impliqués est pour de nombreuses espèces une horloge circannuelle. Le mécanisme de cette horloge n’est pas encore élucidé.

    LES RYTHMES COMPLEXES DANS L’OCEAN

    De manière similaire, les mécanismes horlogers chez les espèces marines sont encore inconnus. Une des raisons de cette ignorance réside dans le fait que les océans présentent une structure temporelle complexe. En effet, les organismes marins sont exposés au cycle solaire de l’alternance jour/nuit, auquel se superpose toute une série de cycles lunaires, le plus marquant étant le cycle des marées dit tidal (de période de 12,4 heures ou 24,8 heures). Le jour lunaire, soit le temps nécessaire à la terre pour faire une révolution complète autour de son axe par rapport à la lune (24,8 heures) et les cycles semi-lunaire et lunaire (14,8 jours/29,5 jours), liés aux phases de la lune, modulent également fortement l’environnement marin, via la lumière et les marées. Enfin, les saisons affectent également ces écosystèmes.

    Échantillonner dans les grands fonds marins est toujours un défi technique: ces grands fonds sont difficilement accessibles, plongés dans l’obscurité, et soumis à de très fortes pressions. Cela nécessite un submersible, ici le ROV Victor6000, pour y accéder. JY Collet -- Bienvenue Productions -- Ifremer, publié dans Nature Communications, CC BY

    Prélèvement et préservation des échantillons à l’aide du ROV

    Pour étudier les rythmes biologiques des moules hydrothermales dans des conditions écologiquement réalistes, un protocole innovant a été mis en place. Les moules ont été échantillonnées à l’aide du ROV puis préservées directement sur le plancher océanique, à 1700 m de profondeur, dans une solution permettant de "geler" leur temps biologique. Ces prélèvements ont été réalisés sous lumière rouge et de manière très précise, toutes les 2h 04min pendant 24h 48min. Ifremer, campagne MOMARSAT 2017, publiée dans Nature Communications, CC BY

    Bien que complexe, la structure temporelle des environnements marins est néanmoins prédictible, car basée sur des cycles astronomiques, et des rythmes biologiques liés à tous ces cycles ont été décrits chez des espèces marines. De nombreux coraux, par exemple, synchronisent leur reproduction, en pondant une fois par an, sur une fenêtre de temps très courte, couvrant une ou quelques nuits. Des vers marins essaiment précisément une fois par mois, aux heures les plus sombres de la nuit, pour initier leur danse reproductrice avant d’émettre leurs gamètes et mourir.

    Et les rythmes biologiques ne sont pas limités au milieu côtier. Ainsi, nous avons récemment mis en évidence des rythmes au niveau du comportement et de l’expression des gènes à 1700 mètres de profondeur, chez une moule vivant sur les sources hydrothermales de la ride médio-atlantique. Ces travaux montrent que l’orchestration temporelle de la physiologie est probablement essentielle, même dans les environnements les plus extrêmes tels que les grands fonds marins.

    Auteur: Audrey Mat - Researcher in marine biology and chronobiology, Universität Wien

    The Conversation - CC BY ND