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société - Page 15

  • Le paradoxe du temps: ralentir pour accélérer

    L’idée de "ralentir" pourrait presque hérétique. Les dirigeants d’entreprise, pris dans un tourbillon d’e-mails, de réunions et de décisions à prendre, ont intégré l’idée qu’être réactif, disponible à tout moment et rapide dans l’exécution est la condition sine qua non du succès. Pourtant, un courant grandissant remet en cause ce dogme de l’urgence: le "slow management". Inspiré à la fois des neurosciences et de la philosophie du "slow movement", ce concept prône l’art de ménager des temps de pause et de réflexion stratégique pour, paradoxalement, gagner en efficacité.

    Loin d’être une simple tendance de bien-être, le slow management s’appuie sur des études scientifiques récentes qui montrent que notre cerveau, saturé par le multitâche et la pression temporelle, fonctionne moins bien. Des entreprises pionnières en ont fait l’expérience: prendre le temps de ralentir leur processus de décision et de gestion leur a permis de gagner en créativité, en productivité et même en compétitivité.

    LE CERVEAU SOUS PRESSION: QUAND LA VITESSE DEVIENT UN FREIN

    Depuis une dizaine d’années, les neurosciences explorent les effets de la surcharge cognitive sur la prise de décision. John Sweller, chercheur en psychologie cognitive, a démontré que notre mémoire de travail est limitée: lorsqu’elle est saturée par trop d’informations simultanées, notre capacité de réflexion stratégique s’effondre.

    Une étude de l’Université de Stanford (2019) est venue confirmer cette intuition: les individus pratiquant le multitâche numérique constant (passer d’un mail à une notification puis à une réunion) développent une attention plus fragile et une mémoire moins performante que ceux qui se concentrent sur une tâche unique. Dans un contexte de direction d’entreprise, cela signifie que l’obsession de la vitesse conduit à des décisions hâtives, parfois contre-productives.

    Le Dr Etienne Koechlin, directeur du Laboratoire de neurosciences cognitives de l’ENS, rappellait d’ailleurs que " le cerveau humain n’est pas conçu pour maintenir une vigilance soutenue en permanence. Il fonctionne mieux lorsqu’il alterne entre phases d’effort et phases de récupération ". Autrement dit: la pause est loin d’être une perte de temps, elle est une condition de la performance.

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  • Le dernier dirigeant humain: quand les IA sauront tout faire, que restera-t-il à l’entrepreneur?

    À l’aube d’une révolution technologique sans précédent, le rôle même de l’entrepreneur est en train d’être questionné dans ses fondements. À mesure que les intelligences artificielles (IA) progressent, automatisent, anticipent et décident, elles s’immiscent dans des domaines qui semblaient jusque-là exclusivement humains: la stratégie, la créativité, la gestion, voire le leadership. La prophétie d’un monde où les machines pourront tout faire fait frémir certains et rêver d’autres. Mais quand les IA sauront tout faire, que restera-t-il à l’entrepreneur? La réponse n’est ni simple ni tranchée.

    LA MONTEE EN PUISSANCE DES IA: DU BRAS DROIT AU CERVEAU STRATEGIQUE

    Aujourd’hui, l’intelligence artificielle n’est plus un simple outil d’aide à la décision. Elle devient un acteur central dans la chaîne de création de valeur, de la conception à la production, de la vente à la relation client. Les algorithmes apprennent, testent, innovent à une vitesse et une échelle inégalées. Des IA peuvent déjà générer des idées, créer des prototypes, analyser des marchés et optimiser des modèles économiques.

    Dans certains secteurs, la frontière entre le travail humain et celui des machines s’estompe. Des start-up utilisent des IA pour lancer des campagnes marketing ultra-ciblées, concevoir des produits sur mesure, ou même gérer entièrement la logistique. À terme, certains spécialistes envisagent que les IA pourraient prendre en charge la totalité de la chaîne entrepreneuriale, de la génération d’opportunités à leur réalisation, en passant par la levée de fonds automatisée.

    Cela suscite des craintes légitimes: quel sens garderont les rôles humains dans ce paysage? L’entrepreneur humain, ce pilote visionnaire, cet architecte d’idées, cet audacieux preneur de risques, n’est-il pas en voie de disparition?

    LE LEADERSHIP HUMAIN FACE A LA MACHINE

    Pour comprendre ce que pourrait devenir le rôle de l’entrepreneur, il faut saisir ce qui fait sa singularité aujourd’hui. Ce qui différencie l’humain d’une IA n’est pas tant la capacité à traiter des données ou à exécuter des tâches — sur ces terrains, les machines gagnent — mais sa faculté à incarner une vision, à mobiliser une équipe, à prendre des décisions dans l’incertitude, à faire preuve d’intuition, d’empathie, de créativité radicale.

    L’intuition entrepreneuriale est une forme de connaissance tacite, souvent difficile à formaliser ou à programmer. C’est l’art de lire entre les lignes, de sentir les tendances avant qu’elles ne deviennent évidentes, de naviguer dans un océan d’incertitudes. Ce sont aussi les qualités humaines du leader, sa capacité à inspirer, à persuader, à fédérer autour d’un projet commun.

    Mais ces dimensions ne sont-elles pas elles aussi susceptibles d’être reproduites par des IA sophistiquées? En partie, oui. Des IA émotionnelles capables de détecter et d’adapter leurs interactions sont en cours de développement. Des modèles prédictifs avancés peuvent estimer des risques inconnus et simuler des futurs multiples. Loin d’être de simples outils, ces technologies pourraient un jour incarner un leadership algorithmique.

    L’INNOVATION RADICALE: UN TERRAIN ENCORE HUMAIN?

    Si les IA excellent dans l’optimisation et l’amélioration continue, la question reste ouverte sur leur capacité à inventer du radicalement nouveau. L’innovation disruptive repose souvent sur des ruptures de pensée, des intuitions issues de parcours de vie, d’expériences multisectorielles et d’émotions humaines complexes.

    Le philosophe Bernard Stiegler soulignait que la créativité est une praxis liée à la condition humaine, à la capacité de transformer des savoirs en œuvres originales et singulières. Or, si une IA peut recombiner et générer des variations à partir d’un corpus immense, peut-elle créer une œuvre véritablement originale, porteuse d’une nouvelle culture?

    Le débat est ouvert. Certains chercheurs pensent que la créativité artificielle deviendra bientôt indiscernable de la créativité humaine. D’autres estiment qu’il y aura toujours une irréductible part d’humanité, inscrite dans le contexte social, l’expérience sensorielle et l’intentionnalité.

    L’ENTREPRENEUR COMME MEDIATEUR ET ETHIQUE

    Au-delà de la créativité pure, le rôle de l’entrepreneur pourrait se déplacer vers une fonction d’arbitrage éthique et sociétal. Les IA, aussi puissantes soient-elles, n’ont pas de conscience morale ni de valeurs intrinsèques. Elles appliquent des algorithmes conçus par des humains, dans un cadre réglementaire et socioculturel donné.

     

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  • Qu’est-ce que la cognition?

    Comment l’esprit prend-il des décisions? Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous apprenons? Comprendre ce qui se cache derrière le mot cognition aide à répondre à ces questions, à affronter des enjeux de santé publique et à interroger les limites de notre humanité à l’heure où se développe l’intelligence artificielle.

    Quand on parle de cognition, on évoque souvent des domaines complexes comme la psychologie, les neurosciences, voire l’intelligence artificielle. Mais qu’est-ce que la cognition, au juste?

    Dit simplement, c’est ce qui se passe dans notre tête quand on comprend, qu’on apprend, qu’on prend une décision. C’est une sorte de " laboratoire intérieur " où chaque pensée, souvenir ou perception s’élabore. En d’autres termes, c’est l’ensemble des mécanismes qui nous permettent de traiter l’information autour de nous.

    Le terme cognition vient du latin " cognitio ", signifiant " connaissance ". D’abord employé en philosophie pour parler des mécanismes de la pensée humaine, il a été repris au XXe siècle par les psychologues pour explorer les fonctions cognitives du cerveau, et finalement par les neurosciences, qui cherchent aujourd’hui à " cartographier " ce laboratoire intérieur, région par région.

    À l’heure où l’intelligence artificielle cherche à imiter nos capacités mentales, comprendre la cognition humaine est essentiel. Que signifie " penser "? Comment l’esprit prend-il des décisions? Et comment l’apprentissage s’effectue-t-il, qu’il soit humain ou artificiel?

    Les enjeux derrière la cognition aujourd’hui

     

    La cognition est au cœur de notre quotidien: lorsque nous lisons un livre, notre cerveau utilise des processus cognitifs pour décoder les lettres, donner un sens aux mots et comprendre des idées abstraites. Derrière le volant, notre attention, notre mémoire et notre coordination fonctionnent ensemble pour prendre des décisions en quelques secondes.

    Notre cognition nous permet ainsi d’accomplir des tâches simples et complexes, souvent sans que nous en soyons conscients.

    Dans le domaine de l’éducation, des chercheurs comme Stanislas Dehaene (auteur de La Bosse des maths ou Apprendre à lire: des sciences cognitives à la salle de classe), ont montré que certaines stratégies cognitives sont plus efficaces que d’autres pour apprendre. Savoir que l’attention fonctionne par cycles et que la répétition espacée consolide mieux les souvenirs peut aider à repenser la façon dont on enseigne.

    Les neurosciences et la psychologie cognitive s’intéressent aussi à la prise de décision, un autre aspect fondamental de la cognition. Des chercheurs comme Daniel Kahneman (auteur de Thinking, Fast and Slow) ont montré que notre cerveau utilise des raccourcis mentaux, appelés biais cognitifs, pour traiter l’information rapidement.

    Bien que ces biais soient parfois utiles, ils peuvent aussi mener à des erreurs, en renforçant par exemple des préjugés ou en nous poussant à privilégier des solutions rapides mais imparfaites. Ce champ d’études aide ainsi à comprendre comment nos jugements peuvent parfois être manipulés ou pourquoi nous agissons parfois contre notre propre intérêt.

    Cognition: Des Défis Pour L’avenir

    Étudier la cognition, c’est aussi mieux comprendre les défis que posent certaines pathologies pour mieux les prendre en charge demain. Les troubles neurocognitifs, comme la maladie d’Alzheimer, impactent notamment la mémoire et l’orientation spatiale, des fonctions essentielles à notre autonomie.

    Grâce aux avancées scientifiques, il devient possible de détecter ces troubles plus tôt et d’imaginer des interventions mieux ciblées, qu’il s’agisse de prise en charge ou d’aménagements adaptés, pour préserver la qualité de vie des patients.

    Dans un autre registre, la cognition inspire aujourd’hui les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle (IA). En modélisant les mécanismes de pensée humaine, l’IA cherche à reproduire nos capacités de raisonnement, d’apprentissage et de prise de décision. Ces innovations promettent de révolutionner de nombreux domaines, mais elles posent aussi une question fondamentale: jusqu’où l’IA peut-elle imiter, ou même dépasser, notre esprit?

    Comprendre la cognition, c’est donc à la fois un moyen de répondre aux enjeux de santé publique mais aussi une façon d’explorer les limites de notre humanité. Après tout, c’est en la comprenant mieux que nous pourrons peut-être penser différemment demain.

    Auteur: Béatrice Degraeve - Enseignant-Chercheur en Neuropsychologie, Institut catholique de Lille (ICL)

    The Conversation - CC BY ND