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Neurosciences - Page 6

  • Sommes-nous plus bêtes que nos parents?

    https://doi.org/10.64628/AAK.rhheaudkp

     

    Vous avez peut-être entendu parler du déclin de l’intelligence? C’est cette idée selon laquelle le quotient intellectuel moyen a tendance à diminuer dans le monde occidental. De quoi s’alarmer sur l’état du monde, les politiques publiques, l’éducation et l’avenir de la jeunesse! Ce déclin existe-t-il vraiment?

    Le déclin de l’intelligence est à la mode depuis quelques années. Le documentaire "Demain, tous crétins?" diffusé par Arte en 2017 a diffusé cette polémique en France. La presse s'en est rapidement emparée à travers des titres alarmistes, comme "Le QI des Français en chute libre", "Et si l'humanité était en train de basculer dans l'imbécillité?", ou même "Alerte! Le QI des Asiatiques explose, le nôtre baisse".

    On s’est inquiété, et comme dans toute panique morale, des coupables ont été désignés. Selon leurs orientations politiques, les commentateurs ont blâmé les pesticides et perturbateurs endocriniens, la désaffection pour la lecture, la réforme de l’orthographe, la construction européenne, ou bien sûr, l’exposition aux écrans.

    UNE INTELLIGENCE GLOBALE EN HAUSSE

    Avant de chercher pourquoi l’intelligence déclinerait, encore faut-il être sûrs qu’elle décline. Cette idée d’une diminution de l’intelligence est pour le moins surprenante, car l’intelligence moyenne a plutôt augmenté au cours du XXe siècle. Plusieurs centaines d’études impliquant des millions de participants dans plus de 70 pays montrent qu’en moyenne, chaque génération fait mieux que la précédente sur les tests d’intelligence. Si on préfère parler en termes de quotient intellectuel (QI: le score global à travers un ensemble d’épreuves d’intelligence – sa moyenne est fixée à 100, la plupart des gens se situent entre 85 et 115), le quotient intellectuel moyen a augmenté d’environ 3 points tous les dix ans depuis le début du XXe siècle.

    Cette augmentation de l’intelligence moyenne à chaque génération s’appelle l’effet Flynn. On connaît l’effet Flynn depuis les années 1930, et on l’attribue aux grandes améliorations du XXe siècle , telles que la baisse de la malnutrition et des maladies infantiles, ou le développement de la scolarisation. Aujourd’hui, il est ralenti dans les pays développés, mais continue à pleine vitesse dans les pays en voie de développement (les scores d’intelligence y augmentent deux fois plus vite, environ, que dans le monde occidental).

    Que notre effet Flynn ralentisse ou s’interrompe, rien d’étonnant: la scolarisation et les qualités de notre système sanitaire ne progressent plus à grande vitesse. Mais un déclin de l’intelligence? De petites baisses sont bien retrouvées par une poignée d’études, mais elles sont sans commune mesure avec les gains du XXe siècle. L’exemple de la Norvège (Figure 1) est frappant: ces données de grande qualité (jusqu’au début du XXIe siècle, la Norvège a évalué l’intelligence de l’ensemble de sa population masculine dans le cadre du service militaire obligatoire) montrent bien une petite diminution dans les années 2000, mais elle tient plus de la fluctuation aléatoire.

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    Scores moyens d’intelligence en Norvège, rapportés à une base 100 en 1938. Données adaptées de Sundet et al. (2004, 2014). Fourni par l'auteur

    UNE ETUDE POUR LE MOINS CRITIQUABLE

    D’où vient, alors, l’idée que l’intelligence s’effondrerait en France? La littérature ne contient qu’une unique étude d'Edward Dutton et Richard Lynn portant sur un échantillon de 79 personnes. C’est un très petit échantillon pour déclencher une panique morale, bien sûr: 79 personnes ne sont pas vraiment représentatives de la France dans son ensemble. Quand on crée un test d’intelligence, on l’étalonne plutôt sur un échantillon d’au moins 1000 personnes pour avoir une bonne estimation de la moyenne (c’est le cas de l’échelle d’intelligence pour adultes de Wechsler, la WAIS, la plus utilisée en France).

    Mais le problème de cette étude est surtout dans sa méthode et dans ses résultats. Notre petit groupe de 79 personnes a passé deux tests d’intelligence en 2009: un ancien test d’intelligence (la WAIS-III, étalonnée en 1999), et un test plus récent (la WAIS-IV, étalonnée en 2009).

    En comparant les résultats de ce groupe de 79 personnes à la moyenne de l’échantillon de référence pour chacun de ces tests, Dutton et Lynn constatent que les résultats de ce groupe sont légèrement plus faibles que la moyenne sur l’ancien test d’intelligence, et légèrement plus élevés que la moyenne sur le nouveau test; ils en déduisent qu’il était plus difficile d’obtenir un bon score sur le test de 1999… donc que l’intelligence moyenne a diminué entre 1999 et 2009.

    Sur le principe, le constat de Dutton et Lynn est correct: nous avons tendance à faire moins bien sur les anciens tests d’intelligence (nous avons répliqué ce résultat à un peu plus grande échelle). Mais le problème est qu’il y a d’autres raisons qu’un déclin de l’intelligence pour expliquer que les gens fassent moins bien en 2009 sur un test paru en 1999.

    Pour bien comprendre, il faut s’intéresser au contenu du test. Un test d’intelligence de type WAIS est composé d’un ensemble d’épreuves qui mesurent des choses différentes: le raisonnement logique abstrait (ce qu’on entend généralement par "intelligence": compléter une série de figures géométriques, reproduire un dessin abstrait à l’aide de cubes…), mais aussi les connaissances (vocabulaire, culture générale…), la mémoire, ou encore la vitesse de traitement de l’information.

    Dans l’étude de Dutton et Lynn, les scores sont en fait rigoureusement stables dans le temps pour le raisonnement logique abstrait, la mémoire ou la vitesse de traitement, qui ne déclinent donc pas: les seuls scores qui sont plus faibles en 2009 qu’en 1999, ce sont les scores de connaissances. On retrouve exactement la même chose dans d’autres pays, comme la Norvège: le raisonnement logique abstrait est constant dans le temps tandis que les scores de connaissance deviennent plus faibles sur les anciens tests.

    LES TESTS DOIVENT REGULIEREMENT ETRE MIS A JOUR

    L’intelligence générale ne décline donc pas, ni en France ni dans le monde occidental. Dans ce cas peut-on au moins se plaindre que les connaissances ont décliné: la culture se perd, les jeunes n’apprennent plus rien? Même pas: si les gens font moins bien sur les anciennes versions des tests d’intelligence, c’est tout simplement parce que les questions deviennent obsolètes avec le temps. La WAIS-III demandait aux Français de calculer des prix en francs, de comparer les caractéristiques des douaniers et des instituteurs, de citer des auteurs célèbres du XXe siècle. Avec le temps, ces questions sont devenues plus difficiles. Les scores au test ont baissé, mais pas l’intelligence elle-même. Nous avons montré que cette obsolescence suffit à expliquer intégralement les résultats de Dutton et Lynn.

    Voici un petit exemple, tiré du tout premier test d’intelligence: il s’agit d’un texte à compléter, destiné à évaluer la présence d’une déficience chez de jeunes enfants. Pouvez-vous faire aussi bien qu’un enfant de 1905 en retrouvant les neuf mots manquants?

    Il fait beau, le ciel est —1—. Le soleil a vite séché le linge que les blanchisseuses ont étendu sur la corde. La toile, d’un blanc de neige, brille à fatiguer les —2—. Les ouvrières ramassent les grands draps; ils sont raides comme s’ils avaient été —3—. Elles les secouent en les tenant par les quatre —5—; elles en frappent l’air qui claque avec —6—. Pendant ce temps, la maîtresse de ménage repasse le linge fin. Elle a des fers qu’elle prend et repose l’un après l’autre sur le —7—. La petite Marie, qui soigne sa poupée, aurait bien envie, elle aussi, de faire du —8—.

    Mais elle n’a pas reçu la permission de toucher aux —9—.

    Les mots "amidonnés" (3), "poêle" (7), et "fers" (9) vous ont probablement posé plus de problèmes qu’à un enfant de 1905; mais vous conviendrez sûrement que cette difficulté ne dit pas grand-chose de votre intelligence. Les scores d’intelligence sur ce test ont bien décliné, mais c’est plutôt l’évolution technologique du repassage qui rend le test obsolète. De la même façon, la probabilité qu’une personne dotée d’une intelligence moyenne (QI=100) réponde correctement à une question de la WAIS portant sur la pièce de théâtre Faust était de 27% en 1999, elle est de 4% en 2019. Ainsi, les scores aux tests de connaissance déclinent naturellement dans le temps, au fur et à mesure que la culture évolue.

    C’est même pour cette raison que de nouvelles versions des tests d’intelligence paraissent régulièrement: la WAIS est remise à jour tous les dix ans environ (et la WAIS-V devrait paraître en 2026).

    Aujourd’hui, nous avons la certitude qu’il n’y a pas réellement de déclin de l’intelligence en France, même si l’effet Flynn est bel et bien interrompu. Le déclin de l’intelligence dans le monde occidental n’est pas un sujet scientifique, mais plutôt un sujet politique – un argument idéal que les déclinistes utilisent pour faire peur, désigner des coupables, et promouvoir des réformes hostiles au changement.

    Si cette idée a autant de succès, c’est probablement qu’elle parle à nos tendances profondes: au second siècle de notre ère, Hésiode se plaignait déjà que les nouvelles générations laissent plus de place à l’oisiveté que les précédentes. Si nous bénéficions d’un droit inaliénable à critiquer les valeurs et les goûts musicaux de nos enfants, une chose est sûre: ils ne sont pas moins intelligents que nous.

    Auteur: Corentin Gonthier - Professeur de psychologie, Nantes Université

    The Conversation France - CC BY ND

  • Etes-vous atteint de misophonie?

    Voilà ce qui se joue vraiment dans le cerveau de ceux qui ne parviennent pas du tout à supporter certains bruits

    L’audition ne se limite pas à une fonction mécanique: elle engage nos émotions et nos pensées les plus profondes. Une nouvelle recherche sur la misophonie, ce trouble où certains sons déclenchent colère ou dégoût, montre que les personnes qui en souffrent présentent souvent une flexibilité mentale réduite et une propension à la rumination.

     

  • Le "jamais-vu"

    ce que les recherches nous disent sur l’opposé du déjà-vu

    Notre esprit a un rapport particulier avec la répétition. Prenons l’expérience du déjà-vu, lorsque nous croyons à tort avoir vécu une situation dans le passé, ce qui nous laisse une sensation troublante de retour en arrière. Nous avons découvert que le déjà-vu propose en réalité une vue sur le fonctionnement de notre mémoire.

    Nos recherches ont montré que le phénomène se produit lorsque la partie du cerveau qui détecte la familiarité se désynchronise de la réalité. Le déjà-vu constitue un signal qui nous avertit d’une bizarrerie: il s’agit d’une sorte de " confrontation avec la réalité " effectuée par le système de la mémoire.

    La répétition peut avoir toutefois des effets encore plus troublants et inhabituels. Le contraire du déjà-vu est le "jamais-vu", lorsque quelque chose qu’on sait être familier semble tout à coup irréel ou nouveau. Dans le cadre de nos récentes recherches, pour lesquelles nous venons de remporter le prix Ig Nobel de littérature, nous avons étudié le mécanisme à l’origine de ce phénomène.

    Une Expérience Inhabituelle Et Troublante

    Le jamais-vu consiste, par exemple, à voir un visage connu et à le trouver soudain bizarre ou étranger. Les musiciens peuvent avoir ce sentiment lorsqu’ils se perdent dans un passage de musique qu’ils connaissent très bien. On ressent aussi cet effet lorsqu’on arrive dans un endroit familier et qu’on s’y sent désorienté ou qu’on porte dessus un regard nouveau.

    Il s’agit d’une expérience encore plus rare que le déjà-vu et peut-être encore plus inhabituelle et troublante. Lorsqu’on demande aux gens de la décrire dans des questionnaires sur des expériences de la vie quotidienne, on obtient des réponses telles que "Pendant un examen, j’écris correctement un mot comme “appétit”, mais je lis et relis le mot parce que je n’arrive pas à être sûr qu’il est bien écrit".

    Au quotidien, cela peut être provoqué par une répétition ou le fait de fixer son regard sur quelque chose, mais ce n’est pas toujours le cas. Akira, un membre de notre équipe, a déjà eu cette sensation en conduisant sur l’autoroute, ce qui l’a obligé à s’arrêter sur l’accotement pour que son sentiment de ne pas savoir quoi faire avec les pédales et le volant puisse se " réinitialiser ". Par chance, cela ne se produit pas souvent.

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    UNE EXPERIENCE TOUTE SIMPLE

    Nous ne savons pas grand-chose du jamais-vu. Mais nous avons présumé qu’il serait assez facile de l’induire en laboratoire. Quand on demande à quelqu’un de répéter quelque chose de nombreuses fois, cela perd souvent de son sens et devient déroutant.

    C’est sur cette base que nous avons mené nos recherches sur le jamais-vu. Dans une première expérience, 94 étudiants de premier cycle ont eu comme tâche d’écrire plusieurs fois le même mot. Ils l’ont fait avec douze mots différents qui allaient du plus banal, comme " door " (porte), à d’autres moins courants, comme " sward " (un terme pour pelouse qui n’est pas usuel).

    Nous avons dit aux participants qu’ils devaient recopier le mot le plus rapidement possible et qu’ils étaient autorisés à s’arrêter. Nous leur avons donné quelques raisons pour lesquelles ils pouvaient prendre une pause, comme le fait de se sentir bizarre, de s’ennuyer ou d’avoir la main endolorie. La raison la plus souvent invoquée était de sentir que les choses devenaient étranges, et environ 70% des participants se sont arrêtés au moins une fois parce qu’ils ressentaient quelque chose qui s’apparentait au " jamais-vu ". Cela se produisait généralement au bout d’une minute (33 répétitions) – et surtout pour des mots familiers.

    Lors d’une deuxième expérience, nous n’avons utilisé que le mot " the " (le ou la), estimant qu’il s’agissait du mot le plus courant de la langue anglaise. Cette fois, 55% des personnes ont cessé d’écrire pour des raisons qui répondaient à notre définition du jamais-vu (après 27 répétitions en moyenne).

    Voici comment les participants ont décrit leur expérience: "Ils perdent leur sens à mesure qu’on les regarde", "J’ai l’impression de perdre le contrôle de ma main" et, notre favori, "Cela ne semble pas normal, c’est presque comme s’il ne s’agissait pas d’un mot mais que quelqu’un m’avait trompé en me faisant croire que c’en était un ".

    Image of paper with the word " the " over and over

    UNE "PERTE DU POUVOIR ASSOCIATIF"

    Il nous a fallu environ 15 ans pour rédiger et publier nos résultats. En 2003, nous avons travaillé à partir de la présomption que les gens se sentaient bizarres en écrivant un mot de nombreuses fois de suite. Chris, un membre de notre équipe, avait remarqué que les phrases qu’on lui avait demandé d’écrire à plusieurs reprises en guise de punition à l’école secondaire lui donnaient une sensation étrange, comme si elles n’étaient pas réelles.

    Cela a pris 15 ans parce que nous n’étions pas si futés et que notre idée n’était pas aussi novatrice que nous le croyions. En 1907, Margaret Floy Washburn, une pionnière de la psychologie restée dans l’ombre, a publié une expérience menée avec un de ses étudiants qui montrait la " perte du pouvoir associatif " de mots que l’on fixait pendant trois minutes. Les mots devenaient étranges, perdaient leur sens et se fragmentaient au fil du temps.

    Nous avions réinventé la roue. Ces méthodes et investigations introspectives n’avaient tout simplement plus la cote en psychologie.

    ET SI ON APPROFONDISSAIT UN PEU

    Notre unique contribution est d’avancer que les transformations et les pertes de sens liées à la répétition s’accompagnent d’un sentiment particulier: le jamais-vu. Il nous signale que quelque chose est devenu trop automatique, trop aisé, trop répétitif. Il nous permet d’émerger de notre fonctionnement actuel, et le sentiment d’étrangeté constitue une confrontation avec la réalité.

    Il est logique que cela se produise. Nos systèmes cognitifs doivent rester flexibles, ce qui nous permet d’orienter notre attention là où c’est nécessaire plutôt que de nous égarer trop longtemps dans des tâches répétitives.

    Nous n’en sommes qu’au début de notre compréhension du jamais-vu. La principale explication scientifique est la " satiation ", qui consiste en une surcharge d’une représentation jusqu’à ce qu’elle en perde toute signification. Parmi les idées du même genre, citons "l’effet de transformation verbale", où la répétition d’un mot active des mots "voisins", de sorte que si des gens commencent par écouter en boucle le mot "tress", ils finissent par entendre "dress", "stress" ou "florist".

    Ce phénomène semble lié à la recherche sur les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), où on s’est intéressé à ce qui se passe lorsque quelqu’un fixe de façon compulsive des objets, tels que des brûleurs de cuisinière allumés. Comme pour l’écriture répétitive, cela engendre une transformation de la réalité, ce qui peut nous aider à comprendre et à traiter les TOC. Si le fait de vérifier à plusieurs reprises si la porte est bien fermée à clé finit par faire perdre toute signification à la tâche, cela rend difficile de savoir si la porte est fermée ou pas, et un cercle vicieux s’enclenche.

    Pour conclure, nous sommes flattés d’avoir reçu le prix Ig Nobel de littérature. Les lauréats de ces prix contribuent à des travaux scientifiques qui " vous font rire pour ensuite vous faire réfléchir ". Nous espérons que notre travail sur le jamais-vu inspirera d’autres recherches et permettra d’approfondir le sujet dans un proche avenir.

     

    Auteurs: Akira O'Connor - Senior Lecturer in Psychology, University of St Andrews

    Christopher Moulin: Professor of cognitive neuropsychology, Université Grenoble Alpes (UGA)

    The Conversation France - CC BY ND