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  • Et si l’accent "neutre" n’existait pas?

    À en croire un sondage récent, les accents régionaux seraient en train de s’effacer. Derrière cette inquiétude largement relayée se cachent deux réalités que nous connaissons tous mais que nous préférons souvent oublier: la prononciation, par nature éphémère, change constamment et le nivellement actuel des accents n’a rien d’exceptionnel.

    Quant à l’"accent neutre" auquel nous comparons ces accents régionaux, il n’a jamais existé ailleurs que dans nos imaginaires linguistiques.

    Chaque année ou presque, un sondage annonce que les accents seraient "en voie de disparition". La dernière étude en date, publiée en septembre 2025 par la plate-forme Preply et largement propagée par le biais des réseaux sociaux, va dans ce sens: plus d’un Français sur deux (55%) estimerait que les accents régionaux disparaissent.

    De manière assez remarquable, cette inquiétude serait surtout portée par les jeunes: près de 60% des participants de 16 à 28 ans disent constater cette disparition. Cette crainte occulte pourtant deux réalités essentielles: un accent n’est jamais figé, et l’idée d’un accent "neutre" relève davantage du mythe que de la réalité.

    L’ACCENT "NEUTRE" EST UNE ILLUSION

    Dans les représentations de bon nombre de francophones, il existe une prononciation "neutre" sans marque régionale ou sociale que beaucoup considèrent aussi comme la "bonne prononciation".

    Mais cette vision ne résiste pas à l’analyse. Tous les modèles de prononciation avancés jusqu’à aujourd’hui (par exemple, le roi et sa cour au XVIIe siècle, plus tard la bourgeoisie parisienne, et récemment les professionnels de la parole publique, notamment dans les médias audiovisuels) ont en commun un ancrage géographique bien précis: Paris et ses environs, et parfois aussi la Touraine où les rois de France avaient leurs résidences d’été.

    L’accent dit "neutre" est donc avant tout un accent parisien. Et la plupart des locuteurs non parisiens le reconnaîtront comme tel.

    Il n’est pas dépourvu de traits caractéristiques qui nous permettent de le reconnaître, mais il est simplement l’accent du groupe social dominant.

    D’ailleurs, une enquête menée auprès de différentes communautés parisiennes dans les années 2000 le montrait déjà: les représentations de l’accent parisien varient fortement selon la perspective du locuteur, interne ou externe à la communauté parisienne.

    Ainsi, hors de la capitale, de nombreux locuteurs associent Paris à un accent non pas "neutre", mais "dominant " et qu’ils associent implicitement au parler des couches sociales favorisées de la capitale.

    À Paris même, les perceptions du parler parisien sont beaucoup plus hétérogènes. Certains locuteurs affirment ne pas avoir d’accent, d’autres en reconnaissent plusieurs, comme l’"accent du 16e" (arrondissement) associé aux classes favorisées, "l’accent parigot" des anciens quartiers populaires, ou encore l’"accent des banlieues" socialement défavorisées.

    Cette pluralité confirme donc une chose: même à Paris, il n’existe pas de prononciation uniforme, encore moins neutre.

    LES DIFFERENTES FORMES DE PRESTIGE D’UN ACCENT

    Dans une large enquête sur la perception des accents du français menée avec mes collègues Elissa Pustka (Université de Vienne), Jean-David Bellonie (Université des Antilles) et Luise Jansen (Université de Vienne), nous avons étudié différents types de prestige des accents régionaux en France méridionale, au Québec et dans les Antilles. Nos résultats montrent tout d’abord à quel point cette domination de la région parisienne reste vivace dans nos représentations du "bon usage".

    Dans les trois régions francophones, les scores liés à ce que l’on appelle le "prestige manifeste" de la prononciation parisienne sont particulièrement élevés. Il s’agit de ce prestige que l’on attribue implicitement aux positions d’autorité et que les locuteurs interrogés associent souvent à un usage "correct" ou "sérieux".

    Mais les résultats montrent également l’existence d’un "prestige latent" tout aussi marqué. Il s’agit là d’un prestige que les accents locaux tirent de leur ancrage identitaire. Ce sont souvent les variétés régionales qui sont ainsi caractérisées comme étant "chaleureuses" ou "agréables à entendre", et elles semblent inspirer la sympathie, la confiance, voire une certaine fierté.

    Ces deux axes expliquent aussi qu’on puisse, dans la même conversation, dire d’un accent qu’il "n’est pas très correct" tout en le trouvant "agréable à entendre". Ce jeu de perceptions montre bien que la prétendue neutralité du français "standard" n’existe pas: elle est simplement le reflet d’un équilibre de pouvoirs symboliques continuellement renégocié au sein de la francophonie.

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  • L’Univers a-t-il un début?

    Le Big Bang contre la théorie de l’état stationnaire

    La question de l’évolution de l’Univers a attisé de nombreux débats au cours de l’histoire de la physique. Au début du XXe siècle, deux camps de scientifiques s’affrontèrent: d’un côté, les tenants d’un Univers stable et ayant toujours existé, de l’autre, les physiciens qui adhèrent au modèle d’un atome primitif, ancêtre de notre théorie du Big Bang.

    Au cours du XXe siècle, la cosmologie a été bouleversée par deux visions concurrentes du Cosmos. D’un côté, Georges Lemaître proposait l’hypothèse d’un " atome primitif ", précurseur du Big Bang, selon laquelle l’Univers a une histoire et un commencement. De l’autre, Fred Hoyle, Thomas Gold et Hermann Bondi défendaient en 1948 une alternative: l’état stationnaire, un modèle où l’Univers, en expansion, reste inchangé à grande échelle grâce à une création continue de matière.

    Cette théorie séduisait par son élégance: elle évitait l’idée d’un début absolu et renouait avec de vieilles intuitions philosophiques – puisqu’elles remontent à la Grèce antique – selon lesquelles le Cosmos était éternel et immuable. Mais elle allait bientôt se heurter à l’épreuve des observations. Le déclin de cette théorie fascinante s’inscrit dans une querelle scientifique majeure, au terme de laquelle le modèle de l’atome primitif de Georges Lemaître s’est imposé.

    LE MODELE DE L’ETAT STATIONNAIRE: UN UNIVERS ETERNEL ET IMMUABLE

    En 1948, Fred Hoyle, Thomas Gold et Hermann Bondi introduisent le modèle cosmologique de l’état stationnaire. Leur approche repose sur deux principes fondamentaux. D’une part, le principe cosmologique parfait: non seulement l’Univers est homogène et isotrope dans l’espace – cela signifie qu’à grande échelle, l’Univers présente les mêmes propriétés en tout point et dans toutes les directions d’observation, aucun lieu ni direction n’est privilégiés – mais il l’est aussi dans le temps – ses propriétés sont globalement les mêmes à toutes les époques. D’autre part, ils postulent la création continue de matière pour compenser l’expansion observée de l’Univers mise en évidence par Hubble, de la matière est continuellement créée à un rythme très faible (de l’ordre d’un atome d’hydrogène par mètre cube tous les milliards d’années).

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  • Les quatre âges où votre cerveau se réorganise totalement

    Notre cerveau se reconfigure complétement à plusieurs âges, tout au long de notre vie: ceci expliquerait les décisions discutables que l’on pourrait parfois prendre entre deux?

    Le cerveau, comme tous nos organes, vieillit: l’information n’est pas un scoop. S’il serait tentant de croire qu’il décline de manière homogène vers l’inévitable perte de ses capacités, c’est une idée fausse, que les neurosciences contredisent aujourd’hui. Une équipe de chercheurs de la prestigieuse Université de Cambridge vient de démontrer que le déclin cérébral ne suit pas une courbe linéaire.

    Publiée le 25 novembre dans la revue Nature Communications, leur étude démontre qu’en atteignant quatre âges différents, notre cerveau voit son organisation interne subir d’importants changements.. Au total, il passera par cinq grandes " ères cérébrales ", qui se produisent précisément à neuf, 32, 66 et 83 ans.

    LE LONG PASSAGE DE L’ENFANCE A LA MATURITE NEURONALE

    Pour déterminer ces quatre stades, les chercheurs ont analysé les IRM de diffusion provenant de personnes âgées de 0 à 90 ans. Ces examens cérébraux permettent de suivre les mouvements des molécules d’eau dans notre cerveau. Dans la matière blanche (les fibres de connexion du cerveau), l’eau tend à se propager dans le sens des fibres neuronales (phénomène d’anisotropie). C’est en mesurant l’anisotropie que les chercheurs ont pu répertorier le câblage et l’évolution des connexions cérébrales au fil du temps.

     

    En observant ces données, les chercheurs ont ainsi trouvé que, de la naissance jusqu’à l’âge de 9 ans, le cerveau fabrique un grand nombre de connexions (les synapses), tout en éliminant celles qu’il n’utilise pas. Une phase de tri essentielle pour l’enfant, qui lui permet de renforcer les circuits cérébraux fortement sollicités par l’apprentissage et l’environnement. Ceux qui résistent à ce processus d’élimination formeront la base de ses futurs grands réseaux cognitifs.

    Durant cette période, la matière blanche et la matière grise connaissent également une expansion très rapide de leur volume, car le cerveau optimise sa vitesse de transmission et sa capacité de traitement.

    C’est aussi à cette période que le cerveau est le plus vulnérable, les chercheurs expliquant qu’elle correspond à "un moment où les capacités cognitives progressent fortement, mais où le risque de troubles neuro-développementaux est lui aussi plus marqué".

    Pour imager le phénomène, imaginez le montage ultrarapide d’un haut échafaudage: tant que ses barres ne sont pas solidement fixées (les réseaux neuronaux), le moindre tangage peut s’avérer très dangereux.

    Arrive ensuite un point de bascule aux alentours de 32 ans; c’est selon l’équipe, la période où l’architecture du cerveau est la plus optimisée. Alexa Mousley, neuroscientifique et coautrice de l’étude, explique que c’est à ce moment-là que sont observés "les plus grands changements directionnels dans le câblage et la plus forte inflexion de trajectoire [NDLR: évolution de la structure et de l’organisation des réseaux cérébraux au fil du temps]".

    Le cerveau achève ici sa maturité et sort enfin des changements structurels typiques de l’adolescence, entamant la période la plus longue et stable de son existence: ses connexions sont parfaitement définies.

    A partir de là, pendant près de 30 ans, le cerveau ne change que très peu, son organisation interne est en phase de plateau, coïncidant, selon l’équipe avec " une stabilité de l’intelligence et de la personnalité ". C’est à ce moment-là que nous sommes à notre zénith, d’un point de vue cérébral, bien sûr.

    LES DERNIERES DECENNIES DU CERVEAU: LA FIN DE LA ROUTINE CEREBERALE

    Autour de 66 ans, le cerveau entre dans sa troisième grande période. Rien de catastrophique ou aucun changement soudain selon les chercheurs, mais c’est à cet âge que l’on voit poindre les premiers ralentissements: les connexions deviennent moins vives et leur réorganisation est plus lente; la plasticité neuronale s’atténue. La matière blanche se détériore légèrement, ce qui fait que les aires du cerveau communiquent plus lentement entre elles. Selon Mousley, cette transition correspond également à " un âge où les individus sont davantage exposés à toute une série de problèmes de santé susceptibles d’affecter le cerveau, comme l’hypertension ".

    Vient ensuite l’ultime transformation, qui survient autour de 83 ans. Non pas que le cerveau ne parvienne plus à fonctionner, mais ses grands réseaux neuronaux sont sollicités différemment. Au lieu de faire travailler ses plus vastes zones (comme les aires frontales, pariétales et temporales) en coordination, il recourt davantage aux aires encore performantes et qui ont moins perdu en robustesse (notamment les régions sensorielles et motrices primaires).

    Ces dernières gardent généralement une meilleure connectivité et sont plus résistantes au vieillissement. Selon les conclusions de l’étude le cerveau passe d’un mode de fonctionnement global (les grandes zones du cerveau travaillent ensemble) à un mode local (seules quelques régions bien préservées prennent le relais).

    Notre cerveau reste donc étonnamment actif et plastique, même au crépuscule de sa vie, ce qui contredit complétement les fausses théories qui ont bercé la neurobiologie tout au long du XXème siècle. Celles qui postulaient que notre cerveau se figeait une fois l’enfance passée, un dogme qui fut enseigné jusque dans les années 1990. Un raisonnement qui a affreusement mal vieilli, contrairement à certains de nos neurones, qui, au contraire s’acharnent à maintenir la machine en ordre de marche.