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Science - Page 10

  • Le paradoxe du temps: ralentir pour accélérer

    L’idée de "ralentir" pourrait presque hérétique. Les dirigeants d’entreprise, pris dans un tourbillon d’e-mails, de réunions et de décisions à prendre, ont intégré l’idée qu’être réactif, disponible à tout moment et rapide dans l’exécution est la condition sine qua non du succès. Pourtant, un courant grandissant remet en cause ce dogme de l’urgence: le "slow management". Inspiré à la fois des neurosciences et de la philosophie du "slow movement", ce concept prône l’art de ménager des temps de pause et de réflexion stratégique pour, paradoxalement, gagner en efficacité.

    Loin d’être une simple tendance de bien-être, le slow management s’appuie sur des études scientifiques récentes qui montrent que notre cerveau, saturé par le multitâche et la pression temporelle, fonctionne moins bien. Des entreprises pionnières en ont fait l’expérience: prendre le temps de ralentir leur processus de décision et de gestion leur a permis de gagner en créativité, en productivité et même en compétitivité.

    LE CERVEAU SOUS PRESSION: QUAND LA VITESSE DEVIENT UN FREIN

    Depuis une dizaine d’années, les neurosciences explorent les effets de la surcharge cognitive sur la prise de décision. John Sweller, chercheur en psychologie cognitive, a démontré que notre mémoire de travail est limitée: lorsqu’elle est saturée par trop d’informations simultanées, notre capacité de réflexion stratégique s’effondre.

    Une étude de l’Université de Stanford (2019) est venue confirmer cette intuition: les individus pratiquant le multitâche numérique constant (passer d’un mail à une notification puis à une réunion) développent une attention plus fragile et une mémoire moins performante que ceux qui se concentrent sur une tâche unique. Dans un contexte de direction d’entreprise, cela signifie que l’obsession de la vitesse conduit à des décisions hâtives, parfois contre-productives.

    Le Dr Etienne Koechlin, directeur du Laboratoire de neurosciences cognitives de l’ENS, rappellait d’ailleurs que " le cerveau humain n’est pas conçu pour maintenir une vigilance soutenue en permanence. Il fonctionne mieux lorsqu’il alterne entre phases d’effort et phases de récupération ". Autrement dit: la pause est loin d’être une perte de temps, elle est une condition de la performance.

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  • Le dernier dirigeant humain: quand les IA sauront tout faire, que restera-t-il à l’entrepreneur?

    À l’aube d’une révolution technologique sans précédent, le rôle même de l’entrepreneur est en train d’être questionné dans ses fondements. À mesure que les intelligences artificielles (IA) progressent, automatisent, anticipent et décident, elles s’immiscent dans des domaines qui semblaient jusque-là exclusivement humains: la stratégie, la créativité, la gestion, voire le leadership. La prophétie d’un monde où les machines pourront tout faire fait frémir certains et rêver d’autres. Mais quand les IA sauront tout faire, que restera-t-il à l’entrepreneur? La réponse n’est ni simple ni tranchée.

    LA MONTEE EN PUISSANCE DES IA: DU BRAS DROIT AU CERVEAU STRATEGIQUE

    Aujourd’hui, l’intelligence artificielle n’est plus un simple outil d’aide à la décision. Elle devient un acteur central dans la chaîne de création de valeur, de la conception à la production, de la vente à la relation client. Les algorithmes apprennent, testent, innovent à une vitesse et une échelle inégalées. Des IA peuvent déjà générer des idées, créer des prototypes, analyser des marchés et optimiser des modèles économiques.

    Dans certains secteurs, la frontière entre le travail humain et celui des machines s’estompe. Des start-up utilisent des IA pour lancer des campagnes marketing ultra-ciblées, concevoir des produits sur mesure, ou même gérer entièrement la logistique. À terme, certains spécialistes envisagent que les IA pourraient prendre en charge la totalité de la chaîne entrepreneuriale, de la génération d’opportunités à leur réalisation, en passant par la levée de fonds automatisée.

    Cela suscite des craintes légitimes: quel sens garderont les rôles humains dans ce paysage? L’entrepreneur humain, ce pilote visionnaire, cet architecte d’idées, cet audacieux preneur de risques, n’est-il pas en voie de disparition?

    LE LEADERSHIP HUMAIN FACE A LA MACHINE

    Pour comprendre ce que pourrait devenir le rôle de l’entrepreneur, il faut saisir ce qui fait sa singularité aujourd’hui. Ce qui différencie l’humain d’une IA n’est pas tant la capacité à traiter des données ou à exécuter des tâches — sur ces terrains, les machines gagnent — mais sa faculté à incarner une vision, à mobiliser une équipe, à prendre des décisions dans l’incertitude, à faire preuve d’intuition, d’empathie, de créativité radicale.

    L’intuition entrepreneuriale est une forme de connaissance tacite, souvent difficile à formaliser ou à programmer. C’est l’art de lire entre les lignes, de sentir les tendances avant qu’elles ne deviennent évidentes, de naviguer dans un océan d’incertitudes. Ce sont aussi les qualités humaines du leader, sa capacité à inspirer, à persuader, à fédérer autour d’un projet commun.

    Mais ces dimensions ne sont-elles pas elles aussi susceptibles d’être reproduites par des IA sophistiquées? En partie, oui. Des IA émotionnelles capables de détecter et d’adapter leurs interactions sont en cours de développement. Des modèles prédictifs avancés peuvent estimer des risques inconnus et simuler des futurs multiples. Loin d’être de simples outils, ces technologies pourraient un jour incarner un leadership algorithmique.

    L’INNOVATION RADICALE: UN TERRAIN ENCORE HUMAIN?

    Si les IA excellent dans l’optimisation et l’amélioration continue, la question reste ouverte sur leur capacité à inventer du radicalement nouveau. L’innovation disruptive repose souvent sur des ruptures de pensée, des intuitions issues de parcours de vie, d’expériences multisectorielles et d’émotions humaines complexes.

    Le philosophe Bernard Stiegler soulignait que la créativité est une praxis liée à la condition humaine, à la capacité de transformer des savoirs en œuvres originales et singulières. Or, si une IA peut recombiner et générer des variations à partir d’un corpus immense, peut-elle créer une œuvre véritablement originale, porteuse d’une nouvelle culture?

    Le débat est ouvert. Certains chercheurs pensent que la créativité artificielle deviendra bientôt indiscernable de la créativité humaine. D’autres estiment qu’il y aura toujours une irréductible part d’humanité, inscrite dans le contexte social, l’expérience sensorielle et l’intentionnalité.

    L’ENTREPRENEUR COMME MEDIATEUR ET ETHIQUE

    Au-delà de la créativité pure, le rôle de l’entrepreneur pourrait se déplacer vers une fonction d’arbitrage éthique et sociétal. Les IA, aussi puissantes soient-elles, n’ont pas de conscience morale ni de valeurs intrinsèques. Elles appliquent des algorithmes conçus par des humains, dans un cadre réglementaire et socioculturel donné.

     

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  • Nos actions sont-elles vraiment régies par notre conscience?

    Être conscient, vous savez ce que cela signifie. C’est évident: ce sens commun qui nous fait ressentir une sensibilité personnelle. Elle nous donne un sentiment de prise de contrôle au travers de nos pensées, émotions, expériences de tous les jours.

    La plupart des experts estiment que la conscience peut être divisée en deux éléments: l’expérience de la conscience (prise de conscience personnelle) et le contenu même de la conscience englobant pensées, sentiments, sensations, intentions, souvenirs et émotions.

    Il est facile de s’imaginer que ces contenus de la conscience sont choisis, causés ou contrôlés par notre esprit. Les pensées n’existent pas tant que l’on ne pense pas à elles n’est-ce pas.

     

    Cependant, dans un nouvel article scientifique paru dans la revue Frontiers of Psychology, nous soutenons que ces affirmations sont erronées.

    Nous suggérons que notre conscience personnelle ne crée pas, ne cause pas ou ne choisit pas nos croyances, sentiments ou perceptions. Les contenus de la conscience seraient plutôt générés " dans les coulisses " par des systèmes rapides, efficaces et non conscients dans notre cerveau. Tout cela se passe sans aucune interférence avec notre conscience personnelle qui attend passivement pendant que ces processus se produisent.

    En d’autres termes, nous ne choisissons pas – consciemment – nos pensées ou nos sentiments, nous en prenons simplement conscience.

    HYPNOSE ET ACTIVITE CEREBRALE

    Si cela peut vous sembler étrange, considérez à quel point il est facile de reprendre conscience de notre environnement chaque matin. Mais aussi comment nos émotions et nos pensées arrivent parfaitement formées dans notre esprit. Les couleurs et les formes que nous voyons sont également construites en objets ayant du sens ou en visages reconnaissables sans qu’aucun effort de prise de conscience soit nécessaire.

    Considérez également que tous les procédés neuropsychologiques responsables des mouvements de notre corps ou de l’utilisation des mots pour former des phrases sont mis en place sans impliquer notre conscience.

    Nous émettons l’hypothèse que les procédés responsables de la génération de nos prises de conscience sont élaborés de la même manière. Nos idées ont été influencées par des recherches sur les troubles neuropsychologiques ou neuropsychiatriques, mais aussi sur des recherches très récentes en neurosciences cognitives utilisant l’hypnose.

    Les études utilisant l’hypnose montrent que l’humeur, les pensées et les perceptions peuvent être profondément altérées par des suggestions.

    Dans de telles études, les participants sont soumis à une induction hypnotique, afin de les aider à entrer dans un état mental non conscient. Puis, des suggestions sont faites pour changer leurs perceptions et leurs actions.

    Par exemple dans une étude, les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale des participants quand ils levaient leur bras de manière intentionnelle, quand il était levé par une poulie et quand il était bougé à la suite d’une suggestion hypnotique. Les chercheurs faisaient croire à la personne que leur bras était mû par une poulie dans ce dernier cas.

    Des régions similaires du cerveau sont activées durant les mouvements involontaires ou induits par l’hypnose, alors qu’elles sont différentes pour les actions intentionnelles. La suggestion hypnotique peut donc être envisagée comme un moyen de communiquer une idée ou un sentiment, qui, une fois accepté, a le pouvoir d’altérer les perceptions ou le comportement d’une personne.

    L’ECRITURE DE NOTRE RECIT PERSONNEL

    Tout cela ne répond donc pas à la question de l’endroit où sont fabriquées nos pensées, émotions et perceptions. Nous avançons que notre conscience est un sous-ensemble de nos expériences, émotions, pensées et croyances générées par des procédés non conscients à l’intérieur de nos cerveaux.

    Ce sous-ensemble prend la forme d’un récit personnel qui est continuellement "mis à jour". Il existe en parallèle avec notre conscience.

    Le récit personnel est important car il fournit des informations à stocker dans notre mémoire autobiographique (l’histoire que l’on se raconte à notre propos), et donne aux êtres humains une façon de communiquer les choses que nous percevons et expérimentons avec les autres.

    Ceci, à son tour, nous permet de générer des stratégies de survie; par exemple, en apprenant à prédire le comportement des autres. Les compétences interpersonnelles comme celle-ci soutiennent le développement des structures sociales et culturelles, qui ont favorisé la survie de l’humanité depuis des millénaires.

    La communication entre deux personnes passe par leurs récits personnels. Shutterstock

     

    Ainsi, nous soutenons que c’est la capacité de communiquer le contenu de son récit personnel – et non la conscience personnelle – qui donne aux humains leur avantage évolutif unique.

    COUPABLES MAIS PAS RESPONSABLES?

    Si l’expérience de la conscience ne confère aucun avantage particulier, son but n’est pas clair. Mais en tant qu’accompagnement passif de processus non conscients, nous ne pensons pas que le phénomène de la conscience personnelle ait un but, à peu près de la même manière que celui des arcs-en-ciel.

    Les arcs-en-ciel résultent simplement de la réflexion, de la réfraction et de la dispersion de la lumière du soleil à travers les gouttelettes d’eau – aucune d’entre elles ne sert à quelque chose de particulier.

    Nos conclusions soulèvent également des questions sur les notions de libre arbitre et de responsabilité personnelle. Si notre conscience personnelle ne contrôle pas le contenu du récit personnel qui reflète nos pensées, nos sentiments, nos émotions, nos actions et nos décisions, nous ne devrions peut-être pas en être tenus pour responsables.

    En réponse à cela, nous soutenons que le libre arbitre et la responsabilité personnelle sont des notions qui ont été construites par la société. En tant que tels, ils sont construits dans la façon dont nous nous voyons et nous comprenons en tant qu’individus et en tant qu’espèce. Pour cette raison, ils sont représentés dans les processus non-conscients qui créent nos récits personnels, et dans la façon dont nous communiquons ces récits aux autres.

    Ce n’est pas parce que la conscience a été mise de côté que nous devons nous passer des notions quotidiennes importantes telles que le libre arbitre et la responsabilité personnelle. En fait, ils sont intégrés dans le fonctionnement de nos systèmes cérébraux non conscients. Ils ont un but puissant dans la société et ont un impact profond sur la façon dont nous nous comprenons nous-mêmes.

    Auteurs: David A Oakley - Emeritus Professor of Psychology, UCL

    Peter W Halligan - Hon Professor of Neuropsychology, Cardiff University

    The Conversation France - CC BY ND