Depuis de nombreuses années, je vulgarise la physique quantique, mon domaine de recherche. La "quantique" fascine le grand public. Elle intimide aussi. Les vulgarisateurs en jouent d’ailleurs parfois. Les couvertures de revues et de livres exploitent souvent son côté mystérieux: "L’ultime secret de la physique quantique enfin dévoilé , "La vie serait quantique!", "On pense tous quantique"…
Tout cela n’est pas sans conséquence. De nombreuses fausses idées se propagent sur ce domaine de la physique. Je vous en propose sept parmi celles que j’entends le plus souvent, sept idées qui entretiennent des mythes mais ne résistent pas à l’épreuve des faits.
Rassurez-vous, pas besoin de s’y connaître en physique quantique pour lire ce qui suit, puisque je vous dirai plutôt ce que la quantique… n’est pas!
1". La quantique, c’est le monde de l’incertitude"
C’est faux! La physique quantique est actuellement probablement la discipline scientifique la plus précise que l’humanité ait jamais conçue. Elle est capable de prévoir certaines propriétés avec une précision de 10 chiffres après la virgule, ensuite vérifiée par l’expérience précisément! C’est le cas par exemple des mesures de constante de structure fine, ou d’effet Hall quantique. À titre de comparaison, cela reviendrait à être capable, lors d’une épreuve de saut en longueur, de prévoir en observant juste la course et l’élan d’un athlète où il va atterrir au milliardième de mètre près!
Cette fausse idée vient entre autres du "principe d’incertitude" d’Heisenberg, une notion souvent mal vulgarisée qui laisse penser à tort que la quantique n’est pas précise. Ce principe, qu’Heisenberg lui-même préférait appeler " principe d’indétermination ", montre qu’il existe une limite à la précision de la mesure de deux quantités en même temps, par exemple la vitesse et la position d’une particule. Sans rentrer dans les détails, cette indétermination vient un peu de la même raison qui fait qu’il est difficile de dire précisément où se trouve une vague dans la mer, vu qu’elle est forcément un peu étalée. Mais si on utilise la physique quantique pour calculer d’autres quantités, comme l’énergie des atomes, ou leur magnétisme, elle est alors d’une redoutable précision. Il faut juste bien choisir ce que l’on veut prédire.
2". Pas possible de représenter la quantique en images "
La physique quantique décrit des objets souvent " bizarres " et difficiles à illustrer: fonctions d’onde, superpositions d’état, probabilités de présence, nombres complexes… Souvent, on entend dire qu’ils ne sont compréhensibles qu’avec des équations et des symboles mathématiques. Pourtant, dés qu’on l’enseigne ou qu’on la vulgarise, nous, physiciens, n’avons de cesse de la représenter, à l’aide de courbes, de tracés, de métaphores, de projections… C’est bien simple: je ne connais pas de cours de quantique sans images. Certains livres sont même entièrement consacrés à la mise en image de la quantique. Et heureusement, car les images sont nécessaires à l’étudiant et même au physicien aguerri pour se faire une représentation mentale des objets qu’il manipule. Si l’on interroge les chercheurs du domaine, ils reconnaissent eux-mêmes " imaginer " la matière quantique.
Les pliages permettent d'imaginer ce que pourrait être les particules quantiques
Le point qui fait débat, c’est la rigueur de ces images: il est en effet difficile de représenter rigoureusement un objet quantique. Mais n’est-ce pas le cas dans bien des champs de la science? Une image d’atomes par un microscope à effet tunnel n’est qu’une représentation du courant tunnel impliquant de nombreux choix arbitraires, les couleurs, les ombres, etc..